Drôle de résonance avec le film précédent.
Ce film-ci laisse sans voix.
L’asservissement du spectacle autant que le spectacle de l’asservissement, étonnante perspective qui nous est proposée là. On dépasse bien le cadre de ce « Du pain et des jeux » prôné depuis bien longtemps (et toujours si efficace…), mais on pousse jusqu’au ridicule non ?
Une Pocahontas sur un manège, souriante d’avoir eu son peuple exterminé ? En effet ça laisse sans voix.
Et ça nous parle du paradoxe d’un certain cinéma : peindre sur la toile les grands espaces indiens pendant qu’on enchaîne les chevaux…
Merci.
Lou dit: « mais, il raconte rien ce film, c’est que de la chanson »
Est-ce que ces images-signes effectuent réellement une critique du Spectacle ? Je pense plutôt qu’elles nous obligent, à force de signes convenus, de croire à ces images d’une certaine manière : et je reste tel que j’étais avant, je croyais à l’horreur du monde spectaculaire et je projette ma pensée sur les films que je regarde, je vois la pensée critique du monde s’appliquer strictement dans un film : telle est la séparation que critiquait également Debord, de demeurer inchangé face aux images, tant nous les prenons pour des discours et que nous-mêmes nous sommes pétris de discours pré-établis. Pourtant ce film fait confiance au « voir » et à ce que le regardeur seul construit, et cela pourrait venir ainsi contredire ce que je viens d’énoncer. Je me demande donc, pour finir, si nous ne devrions pas laisser le Spectacle dans l’oubli qu’il demande, afin de ne pas par nos critiques prolonger son hégémonie, afin de ne pas le faire exister. Par ces mots, j’interroge les formes de la critique dont nos films sont capables, par leurs moyens mêmes… Oui, comment faire ?
Un dernier mot, qui s’immisce là, au niveau de ce qui est filmé : une fête foraine. Si untel pense y voir le Spectacle et qu’en effet c’est ce que l’on me demande de voir, ce que l’on croit avoir « dit », dans ce cas là reste la liberté de dire : « ah mais, et alors, les forains, ne sont-ils pas quand même des personnes nomades, aux formes de sociabilité marginales dans lesquelles nous pourrions trouver des zones de résistance au monde intégré du spectacle intégré ?
Et la désuétude, pour ne pas dire pauvreté, des moyens de divertissement de la « foire », sont proches du cinéma – deux trois tâches colorées et quelques mouvements intenses – un cinéma que l’on pourrait deviner résistant par l’usage de plus en plus sobre des mêmes moyens qui faisait le spectacle : couleur, mouvement…
Les questions de cinéma engagent nos vies.
Tout cela est bien o’Pâques…
Bravo pour cette formidable initiative mellant variété des sujets, la considération des personnes et le traitement d’enjeux importants pour l’avenir de tous, du vivre ensemble.
100 jours est un véritable défi qui est très largement relevé pour le moment….
Qui est Lou?
J’aime bien dans +1 quand O. Magniez frappe l’écran avec son micro, ou dans le film de C. Nozières, pour les fans, en 2007, quand il faisait pareil sur son chat. Ici vous faites le choix de ne taper ni les chevaux, ni joe l’indien, avec votre caméra.
On ressent non pas une distance, mais une césure entre la caméra et ce qu’elle filme. Un peu une logique d’aquarium, ou on regarde depuis le dehors, à travers une vitre. Ça me rappelle le long zoom de votre film en 2007, j’y retrouve la même extériorité du filmeur au monde qu’il filme (le zoom comme anti-travelling).
Salut M.,
vous connaissez bien votre Daney. Je ne vais pas faire la cuistre, et y opposer Rivette et son fameux travelling immoral (à distance ?) ou Rancière qui nous dirait qu’aucun mouvement de caméra, qu’aucune technique n’a en soi de sens défini et fermé ; ou plutôt si, je fais la cuistre.
J’aime énormément +1 d’Odile, et le film de Cyprien me fait réfléchir, mais je ne sais pas quelle est la grande force de ces gestes. Taper l’écran d’un ordinateur, caresser un chat avec un micro… en soi, ça n’est rien. Et ça peut être tout, selon le contexte.
Sinon, il ne faut pas nécessairement avoir une action sur ce qu’on filme, ou placer sa caméra contre le visage de ceux qu’on filme pour rendre sensibles les choses, pour faire ressentir une émotion ou surgir une pensée. C’est bien là que toute la question de l’intime se pose, qui n’a rien à voir avec la « subjectivité » du réalisateur, la mise en scène du moi ou l’exposition de l’intimité des gens.
Un film, ça n’est pas uniquement des images, c’est aussi des sons, des musiques. Les chansons que l’on entend dans +74 disent à la fois l’intimité des êtres, leur singularité, ce qui les place à une distance infinie les uns et des autres, et en même temps l’espace d’une proximité où toute distance est abolie.
Ou alors, on pourrait dire (et ça pourrait être Maurice Blanchot) qu’on a essayé (car nous sommes deux réalisateurs) de rendre l’espace d’un rapport sans rapport, une intimité qui ne serait pas celle d’une subjectivité empirique, mais celle où il n’y a plus de différence entre l’intériorité d’un cheval, celle de cet homme qui tourne, ou la mienne, qui filme. Ce que montre ce film, c’est comment on peut sortir du cercle de la répétition, de la mauvaise révolution, celle qui nous ramène toujours au même point, ce que vous appelez aquarium, pour commencer quelque chose de neuf. Parce que dans le dernier plan où il est présent, l’homme est sorti du cercle.
Nous n’avons pas cherché à rendre notre intimité, mais l’intimité de l’autre, l’autre intimité, l’autre de l’intimité, qui n’est pas son contraire, mais qui est essentiellement une énigme, un je-ne-sais-quoi, un mystère, une vie.
Tout cela, c’est ce que je sens et pense du film ; mais un film est d’autant plus émancipateur qu’il ne construit pas son sens, ne l’impose pas, qu’il laisse libre à chacun de construire et de déconstruire les images.
Tout à fait d’accord avec cette dernière phrase, qui vaut pour toute forme d’expression artistique ou littéraire, je crois.
Drôle de résonance avec le film précédent.
Ce film-ci laisse sans voix.
L’asservissement du spectacle autant que le spectacle de l’asservissement, étonnante perspective qui nous est proposée là. On dépasse bien le cadre de ce « Du pain et des jeux » prôné depuis bien longtemps (et toujours si efficace…), mais on pousse jusqu’au ridicule non ?
Une Pocahontas sur un manège, souriante d’avoir eu son peuple exterminé ? En effet ça laisse sans voix.
Et ça nous parle du paradoxe d’un certain cinéma : peindre sur la toile les grands espaces indiens pendant qu’on enchaîne les chevaux…
Merci.
Lou dit: « mais, il raconte rien ce film, c’est que de la chanson »
Est-ce que ces images-signes effectuent réellement une critique du Spectacle ? Je pense plutôt qu’elles nous obligent, à force de signes convenus, de croire à ces images d’une certaine manière : et je reste tel que j’étais avant, je croyais à l’horreur du monde spectaculaire et je projette ma pensée sur les films que je regarde, je vois la pensée critique du monde s’appliquer strictement dans un film : telle est la séparation que critiquait également Debord, de demeurer inchangé face aux images, tant nous les prenons pour des discours et que nous-mêmes nous sommes pétris de discours pré-établis. Pourtant ce film fait confiance au « voir » et à ce que le regardeur seul construit, et cela pourrait venir ainsi contredire ce que je viens d’énoncer. Je me demande donc, pour finir, si nous ne devrions pas laisser le Spectacle dans l’oubli qu’il demande, afin de ne pas par nos critiques prolonger son hégémonie, afin de ne pas le faire exister. Par ces mots, j’interroge les formes de la critique dont nos films sont capables, par leurs moyens mêmes… Oui, comment faire ?
Un dernier mot, qui s’immisce là, au niveau de ce qui est filmé : une fête foraine. Si untel pense y voir le Spectacle et qu’en effet c’est ce que l’on me demande de voir, ce que l’on croit avoir « dit », dans ce cas là reste la liberté de dire : « ah mais, et alors, les forains, ne sont-ils pas quand même des personnes nomades, aux formes de sociabilité marginales dans lesquelles nous pourrions trouver des zones de résistance au monde intégré du spectacle intégré ?
Et la désuétude, pour ne pas dire pauvreté, des moyens de divertissement de la « foire », sont proches du cinéma – deux trois tâches colorées et quelques mouvements intenses – un cinéma que l’on pourrait deviner résistant par l’usage de plus en plus sobre des mêmes moyens qui faisait le spectacle : couleur, mouvement…
Les questions de cinéma engagent nos vies.
Tout cela est bien o’Pâques…
Bravo pour cette formidable initiative mellant variété des sujets, la considération des personnes et le traitement d’enjeux importants pour l’avenir de tous, du vivre ensemble.
100 jours est un véritable défi qui est très largement relevé pour le moment….
Qui est Lou?
J’aime bien dans +1 quand O. Magniez frappe l’écran avec son micro, ou dans le film de C. Nozières, pour les fans, en 2007, quand il faisait pareil sur son chat. Ici vous faites le choix de ne taper ni les chevaux, ni joe l’indien, avec votre caméra.
On ressent non pas une distance, mais une césure entre la caméra et ce qu’elle filme. Un peu une logique d’aquarium, ou on regarde depuis le dehors, à travers une vitre. Ça me rappelle le long zoom de votre film en 2007, j’y retrouve la même extériorité du filmeur au monde qu’il filme (le zoom comme anti-travelling).
Salut M.,
vous connaissez bien votre Daney. Je ne vais pas faire la cuistre, et y opposer Rivette et son fameux travelling immoral (à distance ?) ou Rancière qui nous dirait qu’aucun mouvement de caméra, qu’aucune technique n’a en soi de sens défini et fermé ; ou plutôt si, je fais la cuistre.
J’aime énormément +1 d’Odile, et le film de Cyprien me fait réfléchir, mais je ne sais pas quelle est la grande force de ces gestes. Taper l’écran d’un ordinateur, caresser un chat avec un micro… en soi, ça n’est rien. Et ça peut être tout, selon le contexte.
Sinon, il ne faut pas nécessairement avoir une action sur ce qu’on filme, ou placer sa caméra contre le visage de ceux qu’on filme pour rendre sensibles les choses, pour faire ressentir une émotion ou surgir une pensée. C’est bien là que toute la question de l’intime se pose, qui n’a rien à voir avec la « subjectivité » du réalisateur, la mise en scène du moi ou l’exposition de l’intimité des gens.
Un film, ça n’est pas uniquement des images, c’est aussi des sons, des musiques. Les chansons que l’on entend dans +74 disent à la fois l’intimité des êtres, leur singularité, ce qui les place à une distance infinie les uns et des autres, et en même temps l’espace d’une proximité où toute distance est abolie.
Ou alors, on pourrait dire (et ça pourrait être Maurice Blanchot) qu’on a essayé (car nous sommes deux réalisateurs) de rendre l’espace d’un rapport sans rapport, une intimité qui ne serait pas celle d’une subjectivité empirique, mais celle où il n’y a plus de différence entre l’intériorité d’un cheval, celle de cet homme qui tourne, ou la mienne, qui filme. Ce que montre ce film, c’est comment on peut sortir du cercle de la répétition, de la mauvaise révolution, celle qui nous ramène toujours au même point, ce que vous appelez aquarium, pour commencer quelque chose de neuf. Parce que dans le dernier plan où il est présent, l’homme est sorti du cercle.
Nous n’avons pas cherché à rendre notre intimité, mais l’intimité de l’autre, l’autre intimité, l’autre de l’intimité, qui n’est pas son contraire, mais qui est essentiellement une énigme, un je-ne-sais-quoi, un mystère, une vie.
Tout cela, c’est ce que je sens et pense du film ; mais un film est d’autant plus émancipateur qu’il ne construit pas son sens, ne l’impose pas, qu’il laisse libre à chacun de construire et de déconstruire les images.
Tout à fait d’accord avec cette dernière phrase, qui vaut pour toute forme d’expression artistique ou littéraire, je crois.