+21

Un film de FP .

14 réflexions au sujet de « +21 »

  1. J’ai toujours trouvé suspect cette fascination pour la violence policière (ici sur les images) qui est loin d’être la violence première ou principale de l’État (en tout cas dans notre pays en ce moment).

    Quel rapport entre le (non) vote et la répression policière ?

    Tous pourris et donc Sarko ou un autre c’est quasiment  pareil, non ?

  2. En voilà un film qui fait du bien par où y passe ! (les yeux et la têtes).
    Une pensée pour ceux qui ne votent pas par conviction et par choix, et que l’on confond avec ceux qui ne votent pas, sans conviction et sans choix !

    Libertad !

  3. La loi électorale est faite pour que le peuple ne soit pas représenté et la loi est défendue par la police, voire l’armée si nécessaire ; le système est totalement verrouille. La tentation est grande de ne pas aller voter, mais je préfère quand même voter blanc ou nul, c’est plus signifiant que de ne pas aller voter comme ceux qui s’en foutent : le jour où les urnes seront pleines de bulletins blancs ou nuls, je pense que ça fera du bruit.

  4. Je vois moins les images de la police comme une dénonciation des violences policières que comme l’évocation des deux pôles de la vie politique: l’urne/la rue.
    Le refus de l’urne pour la rue n’est pas une solution de facilité…

  5. Je suis assez épatée de voir le peu de distance, de rupture, de décalage, de chemins détournés qu’ont la plupart des films des 100jours jusqu’à présent. À part quelques-uns, qui se comptent sur les doigts d’une main, et de bientôt deux heureusement, ils semblent tous avoir le nez dans le guidon. Un sujet, et son illustration la plus directe. Contre le vote ? Hop, un mec qui ne va pas voter, et des tracts anti-élections. Le lien est-il fait avec la rue et ses manifestations ? Hop, des images de cela même.
    Me montrer quelqu’un qui dit quelque chose en soulignant son propos de sa redite, son contraire ou son explication, ça ne m’apporte rien que je ne puisse faire moi-même. Ou ailleurs, recueillir encore un témoignage sans critique, mise en perspective, détournement, poétisation, destruction ou autre, ça n’est pas si intéressant que ça, lorsque le témoignage ne dit rien d’autre que ce qui est dans l’air du temps. Dans un autre commentaire, quelqu’un proposait à propos d’un film, le +4 je crois, de mettre en œuvre un décalage.
    Qu’est-ce que ça veut dire, mettre en œuvre un décalage dans un projet comme 100jours ? Dans un projet qui regroupe 100 films documentaires ? Et dans un film documentaire tout court ? Déjà, de savoir un peu ce que ce genre contient et propose depuis qu’il existe. On dirait jusqu’à présent que les films ne connaissent rien de leurs prédécesseurs, de l’histoire du documentaire, ou alors, parfois, qu’ils y collent trop (je pense à un commentaire de Gros Louis peu amène c’était vrai, et regretté, mais pas si faux).
    Un film réussi n’est pas uniquement un film qui existe, et jusqu’à présent on dirait que tel est le seul grand critère d’exigence pour certains. De la difficulté à détourner la contrainte pour en tirer une œuvre…

  6. C’est bateau, mais c’est peut être ici l’absence de contrainte le problème. La contrainte du portrait dans le premier 100jours a peut être aidé à faire émerger des « oeuvres ». Cette fois-ci l’idée du « rapport intime » au politique à l’effet inverse. Finalement l’intime c’est une contrainte peu contraignante.
    Après ton idée sur l’histoire du documentaire, je sais pas. J’imagine qu’il est possible de construire une oeuvre documentaire spontanée, et que la référence peut aussi être un frein à la créativité.

  7. ils sont où les gens ? l’autre ? le réel auquel je me confronte dans tous ces films ? l’enjeu aussi sous jacent à la réalisation de chacun de ces films, la nécessité qui les sous-tend ?
    J’ai l’impression d’un repli sur soi, on parle de la société, du groupe, du collectif en voix-off, en voiture, en filmant des rues, avec une petite musique de fond ; je capte l’image du monde que je vois et la redonne telle quelle, je ne m’y frotte pas, c’est unilatéral et sans danger (!).
    Ce que j’aime dans le documentaire c’est justement quand la réalité rentre en contact avec l’auteur, qu’il y a une rencontre, une mise en question du film en train de se faire, une réflexion qui anime les choix de plans, le montage, ce qui est raconté, où le film final porte la marque des imprévus, de la mise en film.
    Ici la forme est lisse et finalement je trouve qu’il y a une certaine uniformisation dans l’ensemble !

    Ce que je dis là, n’englobe pas tous les films (cf les commentaires précédents que je partage), mais c’est un sentiment global.

    Allez prenez des risques que diable! Faut prendre le monde de plein fouet, et tant mieux s’il nous mord !

  8. Pour moi, faire la critique d’un film, c’est refuser de l’attaquer sur ce qu’il n’est pas, ni sur ce que l’on aurait aimé qu’il soit. Il faut lui donner sa chance, en fait, sans rien projeter.
    Je regarde les films de 100jours depuis le début et je les trouve tout à fait acceptables pour la plupart.
    Cependant ça ne m’empêche pas d’en espérer d’autres plus ambitieux, différents, plus solides.

  9. La critique est facile…la preuve.
    Merci à toi chère Adeline, de jouer la carte de la provoc en parlant comme une vieille prof qui croit détenir la vérité, (tout cela par croyance qu’un argumentaire découle de fait sur une objectivité et  une légitimité quelconque);  ça donne envie de mettre à jour quelques questionnements concernant le projet et son sujet. J’utilise exprès ces termes volages pour te renvoyer à la frivole façon dont tu exposes une critique d’un film en étant assez méprisante pour son auteur.
    Tu critiques le film sous des prétextes vaguement artistiques sans analyse aucune du fait que tu t’y opposes peut être d’abord idéologiquement; mais tu as sans doute un peu « la tête dans la guidon »…
    Mais je crois que 100 jours est peut être plus qu’une guéguerre pour ou anti-vote, néophytes du documentaire ou ayant bénéficié d’un enseignement supérieur en la matière.
    Je tiens à partager cela ici parce qu’il me semble que ça met un peu en évidence le feu du sujet , le nerf de la guerre: être très attaché aux idées par dessus tout ne revient-il pas à mépriser l’autre parce qu’il n’a pas exactement les mêmes? Cela n’est-il pas un aveu des limites de la pensée? à moins bien sûr qu’on croit à une hiérarchisation des êtres humains en fonction de leur personnalité et de leur sensibilité?
    Le projet 100 jours  justement me paraît intéressant justement par son ouverture et sa volonté d’unifier des points de vue parfois contradictoires, au nom de la fraîcheur et de la spontanéité. Le format des 5 minutes appelle à penser un peu comme un tract c’est vrai, ou alors au contraire à condenser plus d’idées, de manière plus sophistiquée.
    Sinon, on édicte des normes idéologiques et esthétiques à respecter, et le projet ressemble alors davantage à un film collectif avec une direction commune à laquelle chacun se soumet. Un film de copains qui voudrait montrer qu’il maîtrise l’histoire du cinéma documentaire par exemple…au risque de paraître un peu ethnocentré; mais je ne crois pas que ce soit le propos…Nous ne faisons tous que projeter nos propres canons de la beauté, mais la vérité est que la beauté n’appartient qu’à elle-même, ou peut être pourra-ton l’entrevoir quand on aura trouvé ce qui nous rassemble, en quoi on se ressemble, ce qui est plus important à mes yeux que ce qui nous sépare dans notre façon d’être et de penser.
    Peut-être n’est ce là que des conneries, après tout ça arrive à tout le monde d’avoir le nez dans le guidon et de vouer un culte à son nombril.

  10. Espérant que cet espace accueille un texte d’une dizaine de pages, les voici ci-dessous. Merci à « FP » pour ce beau petit court (qui mérite discussion: le texte joint en dit quelque chose qui devrait bien amuser FP) et merci, grand merci surtout aux « 100 jours » qui donnent des ailes, des pieds et des mains à tout le monde. Salut à tou(te)s.

    France, législatives 1993 : la candidature d’un citoyen ordinaire
    Évidence qu’un homme politique est forcément suspect, s’il n’est pas abruti ou escroc. Évidence encore, qu’il y a une « classe politique », « ceux qui nous gouvernent » – comme si nous n’y étions pour rien, nous qui les avons élus, pour la plupart. Évidence enfin que l’opinion publique est forcément ignorante, quand elle n’est pas bête ou méchante. Ces évidences, et quelques autres, nous interrogent.
    Certes les faits sont loin d’être neufs – mais leur évidence, aussi partagée, l’est sans doute. C’est pourquoi il faut demander ce qui lui vaut succès. Avons-nous toujours vécu avec ce sentiment d’impuissance massive, et de complaisance amère, à dire que les responsables sont aussi irresponsables que le commun des mortels? À croire que le niveau de l’homme ne peut être qu’un autre homme, pas moins ni plus homme que le premier? Et donc à conclure, au mieux, que la politique, ce n’est décidément pas pour nous? Avons-nous toujours fait ce que nous faisons, tout naturellement : nous abstenir – et pour de bonnes raisons?
    La publication de ce point de vue pourrait bien être sa principale objection. Rappelons la vieille inquiétude de Platon: et si, catastrophiquement, parution coïncidait avec apparence, trompeuse comme on sait? Et publicité avec propagande, comme la loi électorale en France le dit d’elle-même? Et alors, finalement, vérité avec mensonge, justice avec injustice? Suffit-il de dire que le roi est nu?
    Le journalisme par exemple, est accusé de favoriser sans vergogne la catastrophe. Votre magazine propose une enquête assez complète sur la prostitution, vertueusement présentée comme réalité moderne, et internationale, de l’esclavage. Mais quelques pages plus loin, aux « petites annonces » certes pas gratuites, vous trouverez de quoi « contacter de jolies jeunes femmes de toutes nationalités », à Berlin entre autres. Contradiction un peu grosse? Exceptionnelle? Votre très honorable quotidien adopte exactement le même style d’affichage aveugle ou sourd à ses propres attendus. « Indépendance » oblige, dit-on. N’ayant jamais, de quelque façon, organisé le débat public, votre journal ne manque pas de regretter son absence. La vertu ne se porte bien que décochée. Faites ce que je dis; gardons-nous de dire ce que nous faisons. Si donner à penser c’est tout simplement penser, de même permettre de juger c’est oser juger: chacun sait que la presse n’est pas là pour ça.
    La fameuse distinction de l’information et du commentaire est cette merveille de rhétorique qui, d’un problème, fait une solution. Il est vrai que Platon ne nous a pas attendus pour nous représenter sous l’image plaisante de doctes abrutis, soigneusement nourris de messages et d’images de toutes sortes. L’essentiel était, est toujours, de faire que l’écran soit assez intéressant pour que nous n’ayons jamais l’idée de tourner – d’un coup de tête – le regard.
    L’occasion de ce récit (la candidature d’un citoyen ordinaire, sans parti ni fortune, aux élections législatives en France, 1993) consiste en une de ces « crises » dont l’histoire accouche régulièrement, et qui accouchent de l’histoire. Son nom est légion : du côté des religions, la douloureuse adaptation d’un temps de peu de foi à une demande toujours plus confuse, mais pressante, de « sens »; du côté des sciences, la difficile vulgarisation de connaissances toujours plus vertigineuses, creusant l’écart entre l’impérieux étonnement de l’interrogation savante et la stupéfaction hébétée ou ravie d’une opinion tout juste bonne à deviner la puissance nouvelle libérée par ces mêmes connaissances; du côté politique, l’installation d’une « transparence » télévisée renvoyant aux oubliettes le dialogue ou la simple écoute de l’opinion publique; du côté de l’école enfin, qui résume tous les autres, un piège reconnu en tous lieux, de l’essai au pamphlet, du colloque au rapport officiel, sauf là où il fait des ravages. Comme tout droit, le droit à l’instruction laïque n’a rien d’un don gratuit, mais on se contente de l’opposer à l’abominable « privilège ». Comme si une garderie publique valait tout de même mieux qu’une garderie privée. « Éducation » et « intégration », quand ce n’est pas « réussite » et « accueil », achèvent, sous nos yeux, le massacre de l’école.
    D’un côté la lucidité d’une « science » suravertie, surinformée, surarmée; de l’autre l’opacité d’une « conscience » dont on ne sait s’il faut mesurer plutôt l’insondable naïveté ou plutôt l’impressionnante hypocrisie. Au mois de mai 1997 (élections législatives à la suite de la dissolution de l’Assemblée élue en 93), les lecteurs du Monde ont eu à profusion l’embarras de ce choix. Ils ont lu que l’indécision de électeurs était bien la chose la plus… décisive; que les candidats indépendants se distinguaient équitablement en “zorros” et “zozos”; que la campagne électorale pouvait se résumer en d’absurdes et comiques paradoxes; et qu’enfin, pour faire bon compte, le mot d’un éditorialiste réputé subtil suffisait à tout: tout est tarte… C’est Le Monde qui vous le dit: c’est bien trop bête, ou trop triste; abstenez-vous donc.
    Tel est le mur, au pied duquel il faut chercher l’issue. Sommes-nous nombreux, comme je crois, à souffrir décidément de torticolis? Et si, par hasard, nous manquions d’exercice? On aura compris qu’il s’agit de servitude volontaire. Et ces lignes, si elles sont lues, ne seraient là, alors, que pour ça: s’assurer que nous avons fait ce que nous pouvons, même tard, même au pied du mur, non pour éviter le pire, mais pour laisser sa chance au meilleur.
    Le meilleur, c’est le maçon, qu’on voit au pied du mur. Ce petit récit, en effet, n’est pas seulement l’attristante preuve de la maladie – en forme de ce qu’on appelle couramment déficit civique ou démocratique – mais aussi l’épreuve réjouissante qu’il s’en faut d’un rien pour que la maladie sauve, que la crise réveille, et qu’elles soient l’occasion, à saisir aux cheveux, d’une liberté nouvelle, d’une vie rendue plus forte par cela même qui la menace.
    Rien de plus simple que faire acte de candidature aux législatives. Quelle belle et bonne loi, disponible sur demande à la première mairie ou préfecture venue! On vous en offrira photocopie. Quelle belle et bonne loi, qui organise une permanence jusqu’aux heures avancées de la nuit, fût-ce un dimanche, pour enregistrer votre candidature!
    On se doutait bien que les trains arrivaient à l’heure, mais on se doutait moins, ou pas toujours, de cette évidence: le scrupule administratif au service du plus précieux des pouvoirs, le législatif. Ainsi le peuple est souverain. Disparus, vos fantasmes de guichet: une signature, un chèque de 1000F, l’information de quelques renseignements précis, point exempts d’humour humain. Ainsi apprenez-vous que, douzième et dernier candidat, vous avez des collègues rigolos; quelques-uns se sont quasi disputé la première place à l’ouverture du délai d’inscription! C’est que le « panneau n°1″, ce n’est pas rien! Ainsi encore pourriez-vous vous réclamer de quelque parti, depuis que l’État se charge de les financer. Les chiffres du pactole, pour 1992, sont même là sous vos yeux. Mazette! Qu’il fait bon être un parti, même pas bien installé, de nos jours! D’aucuns s’en sont déjà aperçu, en finauds. Mais décidément non: vous tenez à votre bizarrerie de citoyen ordinaire. C’est que vous avez accouché de cette souris: « une candidature bizarre ». C’est d’abord celle qui ne se réclame d’aucun parti. Vous avez voulu prendre au sérieux de l’esprit ce que l’esprit de sérieux rabâche partout: qu’il faut « faire de la politique autrement »! Lecteur ou entendeur naïf, vous avez compris: hors parti. À ce stade d’ailleurs, votre « campagne » – impossible encore à prononcer sans plaisanter aussitôt – s’occupe moins d’aboutir que de prévenir. On n’a pas manqué de vous signifier l’irréalisme de votre lubie.
    Votre « profession de foi »:
    UNE CANDIDATURE BIZARRE?
    Nous constatons que:
    L’expression claire d’un vote de protestation n’est actuellement pas possible en France (votes blancs et nuls sont confondus; l’abstention est difficile à interpréter).
    La classe politique française ne cherche ni à représenter ni à éclairer l’opinion publique. Les citoyens sont au mieux considérés comme des clients, des consommateurs, ou des spectateurs passifs.
    Nous affirmons que:
    Une candidature de protestation claire correspond à l’opinion d’un grand nombre de citoyens. Un frein peut être mis à la dérive des politiciens : on peut penser par exemple que le moyen d’un seul mandat par élu, et non renouvelable, éviterait le pire dans l’état actuel des choses. Il s’agit de restituer aux citoyens le pouvoir de délibérer.
    Le code électoral français appelle « propagande » ce qui devrait être la publicité ordinaire de la discussion politique. Nous refusons de jouer ce jeu trompeur, en nous félicitant d’ailleurs de ne pas en avoir les moyens. Nous faisons donc parvenir aux électeurs cette seule feuille d’information, en limitant ainsi les frais d’impression puisque l’État se charge de l’envoi et de la distribution. C’est pourquoi vous ne trouverez les bulletins à nos noms que dans les bureaux de vote. Ces frais (minimum 20 000 francs) ne sont remboursés qu’aux candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Sans écarter l’hypothèse de notre élection, nous la croyons peu probable. Dans tous les cas, nous souhaitons jouer le rôle d’un signal qui avertisse la classe politique d’avoir à tenir la place représentative qu’elle a cessé d’occuper.
    L’impression de ce recto 21/29,7 à 80.000 exemplaires (un peu plus que le nombre d’électeurs de votre circonscription) coûte de 20 à 30.000F. C’est ce que vous vous êtes décidé à risquer, c’est-à-dire à perdre, au-dessous du résultat (5% des votes exprimés) requis pour le remboursement des frais de campagne. Vous ne vous êtes pas encore persuadé d’atteindre un si haut sommet. 30.000F ce n’est pas rien, certes. Ce n’est pas beaucoup non plus.
    Il vous faut un suppléant, ce fut une, à partager l’évidence du devoir attaché au droit de vote qu’on dit partout sacré: l’éligibilité. Douzième candidat à s’inscrire sur la seconde circonscription de la Dordogne, vous apprenez par le « grand » quotidien local (un quasi monopole) que ladite liste comporte onze noms. Pour l’avoir vérifié souvent, vous saviez que les médias ne médiatisent pas grand’chose, au point qu’on se demande s’ils informent, et l’ânerie vous amuse. D’ailleurs, et comme de coutume, le lapsus est vite corrigé: vous acceptez même de vous déplacer au bureau du correspondant local qui vous a appelé, une fois mis au courant – par d’autres voies que son journal, bien sûr.
    L’entretien et son résultat viendront sagement prendre leur place d’exemplaires illustrant la question de fond, en forme d’équation: publicité = propagande. Les journalistes locaux font comme ils peuvent, dans l’ombre centrale de la lumière publique, n’ayant guère plus la parole que ceux à qui ils la volent. Au lendemain du premier tour électoral, vous lirez donc un autre article sur votre candidature, qui a su tirer l’essentiel avec une simplicité remarquable. Un contre un, un partout? Outre le décalage chronologique, on a déjà compris que l’hirondelle ne fait toujours pas le printemps… Répondre au premier article, articulet pour le moins tendancieux, sera l’occasion de vérifier que vous n’aurez pas la parole, bien sûr. On vous avouera même en souriant que les « petits » candidats ne sont pas les « grands », et qu’ils ne sauraient revendiquer le même espace rédactionnel.
    Cependant, l’intendance s’impose: il s’agit de coller vos papiers sur les centaines de panneaux électoraux de la circonscription. Toujours la bonne loi: le fonctionnaire que vous êtes a droit à dix jours de congé sans contrepartie. Ca tombe bien: professeur en classes terminales, vous réalisez vite que quelques-uns de vos élèves sont déjà citoyens, donc électeurs, et que votre casquette d’ »homme politique » est un peu voyante sur votre noble tête de maître d’école.
    Quelques pleins d’essence et un cardan plus tard, vous aurez parcouru la circonscription, l’une des plus belles campagnes (sans rire, cette fois) de France. Vous voilà incollable colleur. Qui dira la magnifique solitude du colleur de fond, candidat balladeur, l’œil aux aguets: panneaux-école, panneaux-mairie, panneaux-mairie et école, panneaux-église ou place?
    Au plus loin, c’est d’abord un pays qu’on rencontre, de village en village: celui des routes qui furent des chemins, coupant sans cesse les rampes nouvelles où foncent nos bagnoles. Routes de crêtes, routes de traverse, en carrefours innombrables, où les repères sont choses inscrites plutôt que noms écrits. Pays, paysage: ici « pauvre », là « riche », partout humain d’une humanité délibérée, prévoyante et inventive, reconnaissante et soumise aux mille habitudes du temps.
    Au plus près, c’est le bariolé de ces douze (ou dix, ou quatorze!) panneaux électoraux, luxueux en métal brossé, modestes en bois travaillé, émouvants en toutes matières ou idées de hasard (vieilles portes, tableaux d’école, plaques brinquebalantes!). Votre souci, alors: où est le « douze »? C’est que vous n’êtes seul qu’en apparence. Les affiches débordent, dégoulinent, se superposent, entassant portraits, de pied ou de tête, en couleurs ou pas, de slogans en logos. Vertu de l’offre et de la demande: la machine électorale des partis fait son office, payant aux militants ou aux entreprises spécialisées le soin de la corvée.
    Ici aussi malheur et bonheur se côtoient. D’un côté l’impeccable conscience civique des communes dont on mesure vite, à ce critère tout simple de la tenue des panneaux, le souci, les moyens, la volonté. De l’autre la deshérence tragique d’un lieu fait pour la lecture et le débat – où tout, ou presque, décourage de lire et de discuter. Rarement, vous entamerez le dialogue avec un curieux de passage, partageant des points de vue même « bêtes », même « hostiles ». Et quand vous comprendrez que l’ouverture électorale ignore en toute justice bêtise comme hostilité, dépasse ces malentendus pour rappeler tout citoyen à son rang souverain, quand même vous aurez compris cela, vous ne pourrez songer qu’à la faiblesse de la loi si bonne. Comment ignorer en effet que ce soin apporté à l’égalité de l’information est écrasé par les moyens, ou le contenu, de cette même information? Comment ignorer que le citoyen disparaît derrière le consommateur ou le spectateur auxquels seuls s’adressent ces affiches si peu aimables, ces messages si creux?
    Dans ces limites fort étroites, l’affichage électoral relève pourtant du légitime idéal démocratique, à égale distance de l’utopie et de la formalité: un juste « lieu commun », qu’il ne tient qu’à nous d’habiter, en somme.
    D’autres tâches attendent le petit candidat, qui tiennent encore à la « communication »: le courrier adressé aux candidats par des acteurs sociaux, goupements corporatifs, syndicats ou associations diverses. Du bâtiment à la boulange, de l’humanitarisme à l’horticulture. Un petit nombre, mais très divers, qui impose un classement prudent. Tout au plus remarquez-vous le luxe et la variété du courrier en provenance du monde agricole. La fin des paysans tranche avec ce soin méticuleux à signifier (quelle organisation!) aussi bien la défense des céréaliers que des propriétaires de forêts.
    D’un côté, un bon signe de responsabilité civique, entretenant le dialogue exigeant avec ceux qui briguent nos suffrages. Mais d’un autre côté, et du même coup, cette forme réglée du débat civil n’apparaît pratiquement pas dans le monde ordinaire de la communication. Il fallait cette occasion de candidature pour toucher du doigt la clandestinité scandaleuse des questions et des réponses intéressant la délibération normale des citoyens. Peut-elle s’accommoder longtemps de cet état embryonnaire?
    Un autre aspect encore de la communication est propre à la période électorale: ce sont les réunions électorales. Le monopole télévisé impose, dit-on, les « campagnes de proximité ». Entendez: réceptions intimes. Les candidats multiplient de telles rencontres, bienheureux quand ils obtiennent de parler seuls – et longtemps! – devant un public d’une poignée d’électeurs. Affligeant serait peu dire. Comme tout le monde, vous avez eu l’occasion de vérifier l’impressionnante hypocrisie dont on ne sait trop s’il faut admirer la sagesse (l’indifférence saute aux yeux, dans la salle comme à la tribune), ou la folie (comment peut-on à ce point se prendre au sérieux?). De vagues souvenirs de jeunesse s’imposent : la dérision situationniste, aujourd’hui banale, était très au-dessous de la réalité! L’ascétisme des arguments ne s’impose guère aux quelques militants présents, résignés d’avance à écouter sans broncher le permanent de service, imperturbable répétiteur de la plaquette gracieusement distribuée à l’entrée. On vous fait nettement saisir qu’on discutera « après ». L’ambiance feutrée ne change rien aux dérèglements du jeu: vos questions sont manifestement hostiles ou bêtes, et d’une; l’invité n’est pas là pour vous poser des questions, et de deux. Le grand homme, et le candidat qu’il soutient, peuvent enfin causer entre eux, sous l’œil fixe de la poignée de présents.
    Restent vos propres réunions. Il y en aura deux. La première est intime – on n’échappe pas à l’esprit du temps. Vos amis proposent de vous interroger, vous rappelez comme ailleurs les règles du jeu. Avec quelque grec (« Mes amis, il n’y a pas d’amis! ») un ange d’agora passe. On s’aperçoit vite qu’il n’a rien d’adorable. La perte de toute habitude du débat civil a rendu plus qu’utopique cette amitié que les Anciens appelaient politique. Le procès est aussi évident qu’inconscient, et il est d’intention; une psychologie infantile tient lieu de jugement. Point de bon sens, mais un dogme, quel que soit le démenti de votre candidature dérisoire: la « soif de pouvoir » explique évidemment tout! On n’hésitera pas, d’ailleurs, à parler contradictoirement d’idéalisme naïf si jamais il devient trop clair que vous n’ayez décidément rien à gagner à cette galère. Les sourds dialoguent mieux que les ci-devant amis, au pays de France. Dépolitisation est démoralisation.
    La seconde réunion est plus traditionnelle: vous voilà vous aussi convoquant le peuple. Vos journées de colleur solitaire ont aiguisé votre rhétorique. Arguments et contre-arguments se sont répondu sous votre crâne à défaut de place publique. En voici enfin une, que vous vous colletez d’aménager, guidé par l’idéal. Trois choses: des cercles concentriques de chaises d’abord; ensuite un fauteuil haut placé (une chaise d’arbitre de tennis fait très bien l’affaire) pour un médiateur expressément chargé d’imposer l’alternance de la parole courte et de l’écoute claire; enfin votre propre « intervention »: vous vous décidez pour le bricolage d’un conte d’Andersen qui satisfait à tout.
    IL ÉTAIT UNE FOIS UN ROI TRÈS PUISSANT
    Si puissant qu’il en était arrivé à croire le possible impossible et l’impossible possible. Ainsi passait-il tout nu par les rues et par les chemins, dans les masures et dans les palais, près des petites gens et des grands personnages, en leur disant: « Comme je suis bien habillé, n’est-ce pas? Avez-vous vu quel bon goût est le mien, avec quelle liberté et quel soin j’ai choisi les habits que je porte selon mon bon plaisir ? »
    Beaucoup lui répondaient avec empressement: « Bien sûr, grand Roi, comme vous êtes beau, et libre et très malin ». D’autres le regardaient sans rien lui dire, pensant qu’après tout toutes les opinions sont bonnes: « S’il a envie de faire croire cette absurdité et qu’on le croit, lui qui est si puissant, pourquoi irai-je dire le contraire? ». D’autres encore tâchaient de ne pas le rencontrer en s’occupant de leur travail quand ils en avaient un, ou d’en chercher quand ils n’en avaient pas, pensant qu’il y avait bien d’autres chats à fouetter que ces sottises de roi. Mais puisqu’il était le roi de tous, la plupart s’habituait ainsi peu à peu à voir ce qu’on ne voyait pas et ne pas voir ce qu’on voyait, à entendre ce qu’on n’entendait pas et ne pas entendre ce qu’on entendait. Et la plupart devenait comme le Roi.
    Un jour, une petite fille ou un petit garçon (l’histoire n’a retenu ni son nom ni son sexe), regardant passer le Roi, s’est écrié en le montrant du doigt et en pleurant de rire : « le Roi est nu! » Que croyez-vous qu’il arriva?
    De l’essai (une quarantaine de personnes présentes dont les trois quarts sont de vos amis), vous retiendrez la lettre comme l’esprit: c’est possible. Possible de s’interroger sans se suspecter; possible de prévoir sans rêver; possible de surveiller de près conviction et responsabilité; possible de veiller, en somme. Et c’est facile: elle ne tient qu’à nous, la délibération qui n’oublie pas les impératifs de la décision.
    En l’occurrence, celle-ci prendra la forme du seul don que vous aurez eu l’audace de réclamer. Il vous faut 3.000F pour faire imprimer votre petit conte promis à l’affichage tous azimuts dans les dernières heures précédant le premier tour. Ce sera fait rondement. Une armée d’une vingtaine de fous va même se charger de la distribution partout où ce sera possible! Dernier acte de la campagne électorale la moins chère du monde. Le dimanche des élections, vrai sabbat bien mérité, est là. Au soir: mille cent trente sept voix, plus de 2% des exprimées. Vous êtes le neuvième perdant sur douze de cette élection gagnée par Dame Abstention qui, avec 27%, devance bien sûr les mieux placés.
    Quelle leçon impose ce témoignage? Essayons, en alternant le pire avec le meilleur.
    Première leçon: la loi est bonne, et imparfaite. Rien actuellement, en France, n’empêche un citoyen ordinaire de remplir l’obligation que suppose la part de souveraineté dont il dispose en démocratie. Cette obligation est certes fort peu dite, au-delà du geste de voter. Réduit à ce geste, son droit est curieusement mutilé – comme si le devoir électoral y tenait tout entier, au prétexte que ce minimum n’est pas si répandu dans le monde. Mais enfin la loi, elle, est plus sage. Or on en voit du coup la conséquence. C’est bien de servitude volontaire qu’on parle, quand on se plaint de nos représentants. Aucune raison, ou plutôt aucun fait (le prétendu barrage de l’argent, la prétendue indifférence des citoyens à se laisser duper etc…) ne vaut contre l’évidence: la loi permet. Si elle est imparfaite, cela n’entame nullement sa bonté, mais seulement les conditions de son application: aval, et non amont. Que par exemple la diffusion des professions de foi se fasse deux fois plutôt qu’une; ou encore que l’aménagement du débat public ajoute aux panneaux électoraux d’autres places, plus près de celles où les citoyens discutent – tout cela améliorerait certes la loi, mais dans son sens, et sans toucher à l’excellence de son principe. La servitude volontaire n’en serait, le cas échéant, que plus claire et plus sûre, pas moins évitée a priori. C’est qu’on ne saurait absolument l’éviter: rien de plus démocratique que d’avoir ce qu’on mérite. Tocqueville, et sa leçon, sont tout neufs. La loi, même la plus parfaite, ne peut rien contre l’indifférence à la loi. Il suffit d’oublier d’obéir pour abattre toute autorité: c’est ce que nous faisons, presque toujours.
    Deuxième leçon: la communication est mauvaise, et parfaite. Tout, actuellement en France, empêche un citoyen ordinaire d’accéder raisonnablement aux moyens de communication de masse. Il n’est qu’à peine question de dialogue, mais seulement de message, à quoi se réduit pratiquement l’information collective. Foin de détail: la correspondance agonise sous la communication – et sans doute celle-ci ne doit-elle sa perfection qu’à la mort de celle-là. Nos sciences « humaines » analysent de mieux en mieux ce processus où la convention, vidée de sens, ôte toute chance au traitement personnel des usages, par quoi pourtant se construit l’identité. Perfection donc: en France la presse est « libre », comme l’expression…et la chute du même nom. Cette perfection n’emporte avec elle aucune valeur, ou plutôt aucune mesure, cette valeur de l’évaluation: après les hommes politiques, ce sont les journalistes que l’opinion décrète indignes au pire, peu fiables au mieux. Consternant, disent-ils, mais c’est bien servitude volontaire: la moindre tentative de correspondance doit soulever des montagnes. Qu’on songe par exemple à l’invention d’un « médiateur » au Monde, pas moins de cinquante ans après la naissance de ce quotidien: toute la réciprocité du dialogue se réduit au choix des lettres publiées, choix dont nul, jamais, ne discute les raisons ni les principes. De réponse de la rédaction, quasiment point. A peine peut-on assurer qu’une lecture a eu lieu, les coquilles et les coupes achevant d’embrumer les choses. Reste qu’un tel courrier, aussi négligée – ou bien gardée – que soit sa publication, console parfois de l’ »honorable » quotidien. Le même silence est aussi impressionnant du côté de l’édition des livres. Bref: la communication fonctionne parfaitement en France, comme la poste. La même cause fait que votre boîte aux lettres reçoit chaque jour son pesant luxueux d’informations concernant le gigot en réclame.
    Si le diagnostic est clair, si la servitude est bien nôtre, reste le pronostic.
    Nous nous sommes, paraît-il, passé de religion; nous nous passons logiquement de morale et de politique. Où donc sont-elles toutes passées? Vie sociale, vie professionnelle, vie personnelle: probables refuges de ces « valeurs » désertées par leurs raisons traditionnelles ou transcendantales, en un mot publiques.
    Vie sociale: ce sont les associations de bénévoles, gris tissu d’actions microscopiques dont l’anonymat et la gratuité deviennent le plus sûr critère de leur valeur. Vie professionnelle: c’est le dévouement quotidien au travail bien fait, là encore sans relief ni écho puisque, le plus souvent débarrassé de ce résultat qu’assurait nécessairement la production de jadis, il se traduit non moins nécessairement en service invisible. Vie personnelle enfin, si tant est qu’on puisse en dire globalement la réalité: ce sont les mille et une inventions de la débrouille, entre « déprime » et « super-fête », consolidant à la petite semaine des liens ténus. Dans tous les cas la solitude – humaine – s’alourdit du poids de l’isolement – inhumain. De ce mal, tout est symptôme; de ce bien, rien ne filtre, rien n’arrive: comme si les belles causes étaient sans cause ni effet repérables.
    Législatives de 1997: nous avons eu notre ration d’analyses érudites, avec le bon vieux « oui et non » de la sagesse – le sel de la recherche parvenant tout de même à relever quelque inquiétude face à l’abstention montante. Les pauvres députés dissous sont sommés de montrer ce que préjugés et journalisme, à grands coups de clin d’œil, « savaient » déjà : impuissance et électoralisme, madame, on vous l’avait bien dit. Comme si le pouvoir législatif était un pouvoir, quand il est contrôle, surveillance, et alerte : sentinelle du peuple. Comme si vocation ne voulait pas dire révocation, c’est-à-dire – pardon du truisme ! – un seul mandat.
    Le débat public n’en finit donc pas d’expirer, tandis que l’ »opinion » règne sous la seule forme de grande bête, imposée par image et sondage1 . Frappant, le recours à la déclaration, à l’annonce. Frappant, le dédain de toute raison, du moindre bon sens ; erreur et errance marchent bien, et les vides paroles justifient tout, au gré du vent. Est-ce cela, la fin d’un monde : l’absolue pacotille de la chose publique?
    Mais tout est vrai, tout est beau, tout est bien, disent nos maîtres. Que la plainte est médiocre, en effet! Ne fait-on pas encore merveille de ce qui reste de nos amours? S’il s’en faut d’un rien, faisons que ce rien soit quelque chose – mais comment? Ce petit rien d’élections a proposé sa manière, et sans doute aussi sa part d’illusion.
    Suite en Majeur
    Une dizaine d’années plus tard, en avril 2002, d’autres « faits » sont têtus: quarante millions de citoyens français donnent 13,75% de leur voix (au singulier: rappelons qu’on considère ici le peuple français comme un seul homme, dont on n’imagine pas la mutilation d’un gros tiers, contrairement au charcutage quotidien pratiqué cyniquement par les relais médiatiques d’une opinion supposée ainsi d’avance infirme) à leur président sortant de droite, 11,66% à un vieux politicien d’extrême droite et 11,19% à leur premier ministre de gauche; tous trois ont dépassé l’âge de la retraite tandis que treize autres candidats, en général plus jeunes (dont le plus chanceux obtient 4,7% et le moins chanceux 0,00032%!) se partagent la moitié du reste (l’autre moitié est raflée par l’abstention, les votes blancs et nuls). Quelle est la leçon? Je suis porté à croire que ces scores dérisoires expriment parfaitement la considération dans laquelle les Français tiennent actuellement leurs représentants politiques. Cette considération est précisément ce que cherche à déterminer l’usage régulier du vote démocratique. Des scores dérisoires expriment une considération dérisoire: cette leçon est juste, c’est-à-dire objective et fidèle. Où diable serait le motif de craindre ou de se plaindre de l’opinion? Nulle distorsion mais bien le dessin parfait de la réalité politique dans notre pays. Le second tour des mêmes élections donnent le même bon signe de santé démocratique que tous les autres prétendus reflets de l’expression populaire (sondages et médias surtout) ont tant de mal à fournir: un thermomètre exact. Nous sommes très mal représentés, et nous le disons très bien par nos votes.
    Bien entendu, sur cette base objective, il y a beaucoup de leçons à tirer, de choses à proposer. Si j’étais un politicien de longue date, l’une des leçons que j’en tirerais serait ma démission; quelques uns, pas très nombreux, l’ont tirée. Comme je suis un citoyen ordinaire je tire plutôt la leçon qu’il faut mettre fin le plus rapidement possible à tout ce qui favorise l’existence de politiciens de longue date. La réalisation de cette leçon est depuis longtemps à la portée de tout citoyen électeur et éligible, puisque c’est lui (c’est nous!) qui a permis le développement d’une classe politique oligarchique tentée de s’accaparer le pouvoir. Le suffrage universel joue son rôle en rappelant que les limites de cette permission ont été dépassées. Il aurait pu le faire plus tôt et sous des formes plus tranquilles, mais la vie politique n’est sans doute jamais facile ni tranquille: on y fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, les moyens du bord. Moyennant quoi nous ne pouvons que nous réjouir de ce rappel, en y voyant le signe d’une vie politique désormais un peu plus vigilante et un peu plus commune.
    Têtue mais terrible lucidité d’Étienne de la Boétie. Si Montaigne agonise toujours entre nos mains d’avoir perdu sa moitié, si nous en sommes toujours à l’essai plutôt qu’au coup franc – alors ne nous en prenons qu’à nous-même. Ou plutôt ne nous en prenons à personne, et continuons. Il s’est bien trouvé un Étienne, et quelques autres, pour ouvrir au scalpel les pires plaies, délivrer en livrant ainsi les clés du piège. Il se trouvera bien des hommes et des femmes (et – qui sait? – parmi les enfants d’aujourd’hui) pour donner enfin naissance à ce qui est déjà là, pour qui sait voir et entendre, lire et écrire: un monde commun, fût-ce au pied du mur.