100jours, 1 an après…

100JOURS, 1 an après…
Par Benoît Perraud, réalisateur (+33) et membre du collectif 100jours.

Nous sommes un an après la fin de 100jours. Serait-ce trop tôt ? Ou bien trop tard ? Que dire… Le temps et le recul font que nous dirons que c’était bien, qu’on le referait bien mais pas tout à fait comme ça, que la vie continue, que d’autres films se font. Certes. Mais bon, après tout, on peut aussi y cogiter un peu, écrire quelques pages dessus, et en discuter pour ne pas être d’accord. Et puis ça fera une trace. Je me lance.

Un groupe

La base : 100jours (le projet) se déroule les 100 jours (la période) précédant les élections présidentielles françaises.

En analysant rapidement la politique française, on se rend compte que le champ politique est très réduit et concentré à ce moment des élections présidentielles. Tout est organisé pour mettre en avant la figure du leader : les affiches, slogans, pubs et clips de campagne, à l’exception (et encore…) de l’extrême gauche, mettent en avant ces individus qui vont nous gouverner, ainsi que les grandes lignes des partis qui vont défInir la « majorité ». La population française plébiscite ces élections plus que toute autre : 84% des inscrits sont votants au premier tour en 2007, 80% en 2012, contre 55% pour les législatives de 2012… J’ai tendance à penser que l’élection présidentielle et ses rituels de passation peuvent véritablement être vus et entendus comme un résidu monarchique, où les citoyens d’un État choisissent leur « grand leader », leur « prince », alors qu’ils se désintéressent beaucoup plus des élections législatives ou européennes. Je crois que ça explique véritablement la pertinence du choix de cette période.

Dans le cadre du projet, le réseau qui constitue les organisateurs, collaborateurs et participants de 100jours pourrait représenter ce panel d’une « gauche » contemporaine, plus ou moins engagée, plus ou moins radicale, allant de la gauche très modérée et parlementaire à un anarchisme radical, avec une pensée et une théorisation politique plus ou moins construites.

100jours se veut un espace où chaque créateur apporte sa pierre à une œuvre globale, l’objet « 100jours ». A la fois espace de diffusion et création collective, à la fois mise en valeur d’oeuvres uniques et singulières (comme énoncé dans le manifeste) et revendication d’un projet global. Il s’agit donc de tenter de faire se converger plusieurs manières de voir, des strates plurielles pour raconter le politique, dans un axe qui est « à peu près » le nôtre. Un champ élargi donc, où on peut se sentir encore en débat, pas en contradiction complète. Mais là se pose la première problématique, la question de se revendiquer ou pas de tel ou tel flm avec lequel nous ne sommes pas d’accord : contre ou pour le vote, plus simpliste, trop radical, au contraire trop modéré, etc… Comme pour l’esthétique ensuite, les organisateurs ont proposé à des créateurs dont on savait qu’on pouvait se sentir proche politiquement, dont on sentait que leurs convictions pouvaient dialoguer avec d’autres, et dont on espérait qu’ils joueraient le jeu d’une participation collective. A raison.

Un groupe qui fait des films

On le sait, les images « dominantes » servent de premières armes pour asseoir des processus de dominations (genre, classe sociale, origine ethnique ou géographique, etc…), et appuient ainsi les inégalités de notre société. Mais dans une structuration globalisée, dans une standardisation mondiale des supports et médiums, le « flux » des images contemporaines sert aussi la chimère d’un monde uni, d’une communauté préexistante, et sa gouvernance par quelques-uns.

Une des caractéristiques de ce régime d’images est la malhonnêteté à prétendre qu’elles sont faites pour tous et toutes. Comme si, a priori, cette production était pour tout le monde, général, où le simple fait de la recevoir permettait d’être au monde. Cette malhonnêteté permet de satisfaire deux besoins :

- on la standardise, et ainsi en étant “standard”, elle permet sa diffusion à tous, elle s’en trouve simplifée, et par là même simplife la pensée qui en découle, et devient donc plus « reposante »,
- en vantant les mérites d’un “commun” a priori, les spectateurs se sentent appartenir à une communauté, ils sont dans le même flux. Une communauté, un peuple, qui existe déjà, et qui donc n’est pas à construire continuellement.

On assiste donc à un mensonge éhonté, où la passivité dans la réception est de rigueur, et l’autonomie individuelle de réaction et de pensée sur et avec ces images est abandonné. Ce qui peut d’ailleurs se situer dans le même temps que l’idée politique de la gouvernance par un « leader », ou bien la direction de l’économie par quelques puissants. Ce sera la vision médiatique dominante, et particulièrement aux moments des élections présidentielles, où les thématiques sont réduites à quelques chevaux de bataille démagogiques, qui doivent concerner le plus grand nombre à coup de statistiques majoritaires, où les problématiques sont simplifiées à l’extrême.

La simplification extrême est bien entendu l’expression de « Président de tous les Français » (auquel Zoé Liénard répliquera dans l’épilogue de 100jours2007 par son refus catégorique, en brandissant un couteau de surcroit : « Ce ne sera pas mon président ! » )

Un groupe qui fait des films politiques

Ne nous leurrons pas, une grande partie de la population française (dont font parti les participants de 100jours) jouit d’une situation sociale, économique, politique qui n’est pas violente. Même si de nombreuses populations pâtissent d’une domination indéniable, et que la société charrie son lot d’inégalités énormes et d’injustice patente, nous ne sommes pas en état de guerre. Les tensions sont très ponctuelles, et leurs expressions s’effectuent par corporation (grèves), ou par instants (expulsion de sans-papiers), et les mouvements de masse sont rares.

Plus qu’un cinéma de « lutte », où l’audiovisuel travaillerait avec une radicalité qui peut virer au pamphlétaire (comme le cinéma militant plus ancien, les années 60-70 par exemple), je crois que les participants de 100jours essaient, de façon globale, de développer plutôt ce que je nommerais « un cinéma militant dans un monde pacifié », une esthétique politique des possibles. Que faire, nous, population certes parfois précaire, voire pauvre, mais non-marginalisée et certainement pas traquée, profitant d’une assistance étatique, ici et maintenant : 100jours, c’est (2x) 100 réponses à comment faire un flm politique aujourd’hui ?

En 2007, ce sera la rencontre avec l’Autre. Par le portrait d’un individu ou d’un groupe politisé, le réalisateur pourra porter leur parole et éventuellement convoquer un patrimoine militant, ou bien se retrouver dans les luttes passées. Pour d’autres, ce seront les portraits de personnes marginalisées qui pourront dénoncer leur statut, donc dénoncer l’inégalité et la violence subie. Avec la haine de Sarkozy comme ciment du groupe…

En 2012, le statut n’est pas le même. Quelles formes donne-t-on à notre recherche politique ? Plus qu’un déplacement vers l’autre, il s’agira d’un décalage personnel, de modifer sa perception, et de proposer ce décalage. Il y a toujours des rencontres mais beaucoup plus d’introspection, de recherches de soi, d’interrogation sur « comment se battre aujourd’hui », la production de possibles, avec toujours la dénonciation de l’injustice bien évidemment.

Les dispositifs sont multiples et les exemples sont au nombre de 100 bien évidemment, mais on peut citer la remise en scène de la parole, le texte réécrit (Isabelle Taveneau), la mise en perspective d’une forme de beauté de vie des marginaux (Sylvain George ou Jérémy Gravayat), la vie personnelle et les connexions qui s’opèrent avec le politique (Odile Magniez), l’appropriation de l’espace public (Anthony Bonnin), l’Histoire avec un grand H au travers de textes anciens et d’archives ou Internet et l’information…

Pour construire ce paradigme de création, le manifeste 100jours demandait de répondre à quelques contraintes, pas esthétiques, ni de genres, mais en insistant sur deux points :

–  « un engagement documentaire, une approche engagée envers le réel, une tension qui existe entre celui-ci et l’oeuvre, un flm qui procède de régimes de création documentaire, en mettant en valeur la singularité des démarches politiques, qu’elles soient celles des créateurs et/ou des individus filmés, »

–  « une exigence esthétique, un travail formel singulier, original, personnel ou collectif, une proposition forte qui puisse véritablement faire se considérer ces vidéos comme des « films », du cinéma. Avec tout ce que ça comporte d’imprécision… »

Au moment de sa rédaction, cela nous (l’équipe d’organisation) semblait être une bonne « méthode » ou tout du moins une « ligne de force » qui puisse travailler de façon nouvelle ce rapport au politique. Cela semblait être, comme pouvait le faire d’une manière plus « simple » 100jours2007, la tentative d’un dispositif pouvant à la fois se connecter avec ET interroger le discours politique.

Certains films sont assez tangents dans leur réponse à ces demandes : animation, fiction, film plus expérimental, le « réel » (deuxième terme sujet à caution…) n’est pas toujours convoqué sous l’angle que nous avions imaginé ou anticipé. L’exigence esthétique non plus. Mais le Manifeste n’est pas dogmatique non plus… Encore une fois, nous avons demandé à des individus et des structures dont on se sentait proches, on leur a fait confiance.

Un groupe qui fait des films politiques ensemble

100jours répondrait donc à quelques-unes des problématiques énoncées ci-dessus et essaie, bien modestement bien sûr, d’appuyer sur quelques points de production d’images.

L’honnêteté de l’unicité de l’oeuvre, de son point de vue, de son esthétique propre, de sa différence, sont mises en avant. Le projet accepte le confit esthétique et politique inhérent à une proposition de cet type, en proposant un espace de dialogue et de confrontation pour en discuter. Les films insistent sur la représentation (d’une façon narrative ou non, concrète ou abstraite, figuratif ou non) de la valeur d’un individu, de ses choix, de son histoire, et ainsi pour le replacer dans un espace collectif.

Le principe n’est pas de “parler à tous”, de mythifier l’universel, mais de “proposer” à tous et toutes, de mettre en exergue les choix individuels, et également dans l’acte créatif. Le but est ainsi d’entrevoir le champ politique comme intimement lié à la création, où chacun se confronte.

100jours propose ainsi à sa manière de construire une forme de multitude : des parcours différents, des auteurs qui se rassemblent, en bouleversant le schéma traditionnel de création et de diffusion (libre et contraint, individuel et collectif, etc…), mais également la proposition d’une histoire collective mais multiple, et d’un cinéma qui y soit associé et attenant.

Il s’agirait donc de chercher ce que chacun en puissance peut être, peut faire émerger, apporte à l’histoire collective. Plus que le collectif, la collaboration, ou une recherche politique, je crois que la recherche première, aussi bien artistique que logistique, était bien celle de l’émancipation.

Vous faîtes quoi en 2017 ?

Une réflexion au sujet de « 100jours, 1 an après… »