00 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Salle d’Évaluation des Pratiques de l’Injection de Montpellier Ouest

Ouvert de 14 heures à 20 heures

Accueil anonyme, confidentiel et gratuit.

Une plaque, une porte anodine, une sonnette. On sonne. L’accueillant vient ouvrir « -Bonjour Paul, entre, comment vas-tu ? -ça va, ça va ; il y a du monde à côté ? -personne pour l’instant, tu peux y aller. -salut Yvalin, j’prends le box de gauche, ok ? -bien sûr. Première fois aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu as amené ? -un sken -ok, tu as consommé quoi aujourd’hui ? -pfftt -Paul c’est pas pour fliquer, on en a déjà parlé cent fois, un les statistiques et l’expérimentation, deux si t’es pas bien je dois le savoir pour intervenir correctement. »

Voilà c’est un peu l’idée. Nous sommes fin 2012. Deux projets ont été bâtis : en lieu fixe, et dans un petit camion. Nous avons monté des projets « light », transposables. Nous avons travaillé avec d’autres Caarud indépendants dans différentes régions.

Pour le lieu fixe, l’idée a été d’utiliser les structures existantes. Plutôt que de créer seulement quelques grandes salles, nous avons voulu mettre en avant le savoir et les compétences des acteurs de proximité. Les échanges de seringues avaient déjà lieu à ces endroits, du personnel était présent, très souvent une infirmière, une assistante sociale est déjà sur place. Les salles ne sont pas à l’intérieur, mais en annexe sur le côté de la structure, enfin ça dépend des lieux. Nous avons ainsi ouvert deux petites salles en ville, dans les deux structures existantes. Moins de regroupements, moins de stigmatisations, plus de quiétude. Un règlement intérieur a été discuté entre les équipes et les usagers ; à part quelques adaptations locales toutes les salles ont adopté le même et les protocoles sont similaires. Lire la suite

-06 Incorrecte seringue

Par Yvalin

-6. Quatorzième contribution sur quinze, autrement dit l’avant-dernière… Sniff, fin de l’aventure, d’écrire, sinon au quotidien, au moins une à deux fois par semaine. Je relis, ou survole, régulièrement ce que je vous ai communiqué ; dans le fond je n’ai que peu parlé de politique en tant que tel. Par contre je vous ai raconté notre quotidien, mon quotidien au sein de ma structure et j’espère vous avoir fait découvrir une réalité que vous cotoyez tous les jours, peut-être sans vraiment la voir. Si c’est le cas, même pour une seule personne, j’en suis fort content. Pour moi, cela m’a permis de clarifier, de souffler, de revenir sur certains sujets, de m’amuser avec le texte, les styles.

Je pense que je continuerai ce journal, au moins jusqu’à l’ouverture d’une salle dans ma ville. Et j’ai bon espoir que ce soit bientôt…

Mardi 10 avril

M. envoie une invitation aux quelques membres de la structure qui travaillent sur le projet, elle propose d’inviter deux personnes de l’extérieur qui travaillent dans des lieux similaires. Rendez-vous posé au 27 avril. Le même jour la directrice m’appelle, elle tient à nous féliciter pour la réalisation de notre plaquette (cf -27), le conseil d’administration l’accepte sans aucun changement. Néanmoins nous devrons faire attention à l’avenir, l’un des administrateurs qui est présent sur le projet est très vexé de ne pas l’avoir eu en primeur… Bon dieu les suceptibilités !!

Mercredi 25 et jeudi 26 avril

Je prépare la réunion, l’ordre du jour est : 1- Historique du projet, 2 – Actions au 19 mai, 3 – Partenariats, 4 – Grandes lignes du planning à venir. Lire la suite

-13 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Lundi 16avril – 22h30

L’interphone sonne « - bonsoir, désolé c’est monsieur Dupuy, j’ai oublié mes clés ; pourriez-vous m’ouvrir ? ». J’appuie sur le bouton de l’ouverture de la porte et retourne me sécher : je sors de la douche. Tout à coup je réalise, il y a bien un Dupuy au rez de chaussée, mais c’est une dame ! Du troisième étage, j’entrouvre la porte et regarde dans l’escalier ; deux personnes s’affairent près de la porte de la cave, sac au dos, un duvet à l’air de dépasser. Que faire ? Simples squatteurs fatigués qui veulent se reposer un peu, cambrioleurs avides ? De ce que j’en vois par au dessus, j’opte pour la première solution.

Aussi pourquoi ne pas les laisser souffler un peu ? En plus je ne suis qu’en peignoir ! Plus tard, je descendrai l’escalier, la porte de la cave a été ouverte proprement, il y a de la lumière, pas d’éclats de voix. Je fais un tour dans le quartier, eh, eh, les deux cigarettes rituelles avant d’aller dormir…. de la lumière mais pas de bruit particulier. Le lendemain, sans en parler à personne, je vais vérifier, rien, presque aucune trace de leur passage. Puis au fil de la semaine je remarque que la porte de la cave n’est pas toujours fermée. Re-vérification, rien ; ah si, une fois une canette traîne.

Faut-il avertir les voisins, essayer de les surprendre sur le fait ? Je me dis qu’il y a des chances que je les connaisse, que je ne suis pas agressif de prime abord, pourtant j’angoisse un peu en descendant à la cave : je fais du bruit, j’appelle.

Jeudi 18 avril

Ce matin la porte est à nouveau ouverte. Je descends avec une petite boule au ventre : une première rencontre ce n’est jamais si simple. Il va falloir que je leur explique que ce n’est pas possible, nous ne pouvons pas, par rapport aux autres habitants de l’immeuble les laisser s’installer indument dans la cave. Je vais devoir changer la serrure de la porte. Personne, presque pas de trace, presque pas mais un carton de Stéribox® ouvert, une cup avec un dépôt blanc au fond, une 1cc usagée mais aiguille protégée, 2 fioles d’eau ouvertes… quand vous voyez ça, connaissant mon boulot, et le projet actuel sur lequel je travaille, ben, vous vous trouvez con.

Vendredi 19 avril

Je viens de changer la serrure, je n’ai pas tout expliqué à mes voisins, seuls deux sont au courant de la réalité et de la présence de ces, pardon, de cette unique seringue. Quelle histoire, une seringue, alors que je les donne par carton entier. Il faut bien qu’ils les utilisent quelque part ! Comme si je ne le savais pas, alors pourquoi une seule et unique pompe me pose-t-elle autant d’interrogation ?

Et vous qu’en penseriez-vous ?

-20 Incorrecte seringue

Par Yvalin

12/15

Vacances… moment d’oisiveté, de congé ou absence, manque ? Vacance du pouvoir, bientôt, ou pouvoir en vacances ? Tiens c’est vrai, le pluriel change tout de suite l’acception que nous voulons donner au mot. Le nouveau président, dans 20 jours, partira-t-il en vacances ? Laissant l’idée d’une fonction, d’un pouvoir vacant ? Si je me rappelle bien c’est ce qu’avait fait celui qui va partir ( je n’arrive pas à imaginer qu’il puisse effectuer un second mandat). Tranquille, vous m’avez voulu, vous m’avez eu, à mon tour. Inepte.

Bon mes vacances à moi, disons plutôt mes congés, me font divaguer, rêver ; glander, se reposer … pas vraiment, je garde cela pour mes congés d’été, de vraies vacances, les doigts de pied en éventail, sans téléphone, sans internet ; je rêverai presque de pluie interminable pour rester au coin du feu, le chat sur les genoux, un livre qui glisserait bientôt des mains. Ajoutez une bonne odeur de … au choix, trop fatigué pour imaginer, préférer une chose ou une autre.

Pourtant quelle idée de se démener ainsi, quelle incongruité. Nous ne vivrons pas plus pour autant. À moins que cela n’aide à vivre. Une petite drogue par ci par là ne peut-elle aider à vivre ? « -mais monsieur, cela s’appelle un médicament ! ». C’est vrai ; mais alors qu’est-ce qu’une drogue ? Lire la suite

-27 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Dimanche 1er avril – le soir

Voilà le récit a été publié cet après-midi, j’aime bien le « ressentir ce qui nous est épargné ». C’est simple et en même temps un peu énigmatique ou juste poétique. Bon, en relisant le texte je m’aperçois que je voulais parler de tout autre chose, et puis … et puis il y avait ce coup du doute. Moi je la connaissais la réponse, mais j’avais, j’ai, vraiment du mal à entendre des professionnels (je déteste cette terminologie), disons donc : d’entendre des salariés, douter de l’intérêt de ces salles.

Et samedi après-midi j’avais été soulagé, conforté : d’autres, très grands, très pros, que je respecte et admire pensent comme moi. Samedi il y avait la caravane de Médecins du Monde avec le slogan « Votez Santé ». Nous avons un peu discuté, j’ai pris langue avec des gens que je connaissais et ils ont eu la même réaction que moi : comment un salarié du secteur, bas seuil, première ligne, peut douter de l’apport d’un tel endroit ? Se méfier des modalités, des effets induits, c’est naturel, mais dans le principe : on accueille, on soutient, on distribue du matériel, ils vont bien l’utiliser quelque part !

Bon je sens que je vais encore diverger, recentrons-nous, mardi dernier réunion de travail. Tout les concernés étaient là, un rapide point sur ce qui était fait, et nous avons avancé sur ce que nous devons faire. Mardi après-midi prochain, un administrateur vient me remplacer à l’accueil pour que je travaille à l’élaboration d’un dossier, d’une plaquette. Vous allez-m’aider. Lire la suite

-34 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Bientôt les présidentielles ; quelques candidats commencent à répondre à des questionnaires ciblés sur l’AME, l’accès aux soins, les salles de conso, la dépénalisation, voir la légalisation. « J’ai entendu avec intérêt les propositions des maires de grandes villes, comme Marseille et Paris, visant à améliorer la réduction des risques en s’appuyant sur des travaux scientifiques et sur les exemples européens. Je leur laisserai donc la possibilité de mener des expérimentations pour améliorer la santé des usagers de drogue et réduire les nuisances dans nos quartiers. » dit François Hollande dans un interview à Seronet (http://www.seronet.info/dossier/presidentielles-2012-les-candidats-prennent-position).

Paris, Marseille, « -oui ça se fera, mais pas ici, il n’y pas de scène ouverte, pas vraiment de trouble. -Qu’est-ce que tu as dit, un Mac Do a posé un container de récup ? Lire la suite

-41 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Mardi 20 mars

Prochaine réunion mardi 27 mars à 13 heures 30. Fin 15 heures 30.

Bon, très bien, mais de quoi allons-nous parler ? Qu’allons-nous décider ?

Un ordre du jour est-il écrit ? dans le fond pourquoi se réunir ?

Je viens d’envoyer un courriel aux cinq personnes intéressées : sont-ils sûrs d’être là, quels points pouvons-nous mettre à l’ordre du jour.

Mercredi 21 mars

Deux ont répondu. B., administrateur, demande un état d’avancement, et un planning. Je croyais qu’il voulait s’impliquer, mais il ne vient que relever les compteurs ! Il va être étonné, notre avancement aurait pu être fait en une journée : la salle polyvalente de notre Caarud où nous voulons faire les ateliers d’apprentissage et de travail autour des problématiques de l’injection est presque finie d’aménager, et nous venons de recevoir un vieil ordi reconditionné. C., administrateur, a fait le tour de quelques commerçants avec M., une stagiaire, là où depuis dix ans nous faisons notre échange de seringues. Ça c’est un vrai boulot de diagnostic. L’échange de seringues « rue » c’est : un scooter, un gros sac, une fiche journalière où est répertorié le matériel que nous avons à disposition. Aucune pancarte, ni blouson genre SAMU, ni écriteau. Ressembler à tout le monde ; être discret. Lire la suite

-48 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Dimanche 18 mars 2012
Journée standard, quelques démarches personnelles, malgré tout importante : nous allons acheter un appartement, le banquier est d’accord, l’offre de crédit est signée. Vingt ans d’engagement, je me projette. Je ne suis ni dans l’urgence, ni dans l’immédiateté. Je suis en capacité de m’imaginer aujourd’hui et demain. Sans vouloir psychologiser, moraliser, nous pouvons entrevoir le monde de la précarité et de la toxicomanie (surtout quand ces deux mondes se rencontrent) comme celui de l’immédiateté, de l’urgence, du seul instant, bref de la survie.

Lorsque je sens la crise de manque survenir, pas de doute : aucun avenir n’est possible. Seule la satisfaction de mon corps, la prise du produit salvateur pourra me faire envisager les minutes, les heures à venir. Toute ma quête, ma recherche sera tendue vers cette délivrance ; ni la faim, ni le froid, ni la douleur ne sauront me détourner de ce besoin impérieux. Douleur, j’entends une blessure, des coups, car à ce moment le physique n’est que souffrance, sueur, tremblement, froid intense.
Classiquement nous décrivons les comportements ainsi : récréatifs, réguliers, abusifs. Récréatif tout le monde le comprendra, c’est pour le plaisir, sans régularité, la prise d’un produit, une action particulière. Juste pour le fun, le goût du voyage, de l’expérience. Régulier, on entre dans la dépendance, on a besoin du produit (ou de l’action : les jeux d’argent par exemple) pour vivre, la notion de plaisir s’estompe, celles de satisfaction, d’apaisement surgissent. Abusif, on commence à perdre le contrôle, le plaisir devient fugace, l’addiction est là. Les prises sont facilement excessives, la satisfaction immédiate, la recherche du produit comme son existence n’est plus que de la survie.

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-55 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Mardi 6 mars – matin
Ce midi réunion à 4 ou 5 pour travailler sur le projet salle d’injection. Nous avons posé ce rendez-vous il y a un mois tout juste ; certains membres du conseil d’administration me semblaient très motivés, des actions avaient été posées (voir -83). Nous avions discuté sur la terminologie : le mot injection doit-il apparaître, dans le programme « Éducation aux Risques Liés à l’Injection » (ERLI) ne serait-ce pas le terme éducation qui pourrait passer pour du prosélytisme ? Bref nous avions pensé à « salle d’évaluation des pratiques », titre auquel j’avais ensuite ajouté « de l’injection ». Nous conservons le terme de salle qui est employé partout dans le monde, nous parlons d’évaluation pour signifier que nous sommes dans l’expérimentation et l’observation, le mot pratique signifie que nous allons consigner des observations basées sur la réalité et le mot injection délimite notre champ d’investigation. Assez bien vu non ?

Bon, hier soir j’ai vérifié mon sac, il faut que j’imprime plusieurs documents, que j’ordonne les points dont nous devrons parler.
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-62 Incorrecte seringue

Par Yvalin

Mercredi 29 février
On n’apprend pas à nager à un homme qui se noie. En premier on le sort de l’eau. On ne donne pas un ticket service ou l’adresse des Restos du cœur à un homme qui a faim, sans d’abord s’assurer qu’il aura la force d’y aller. Je force le trait ; mais lorsque nous avons en urgence ce genre de demande, nous ouvrons le frigo, regardons les étagères pour dépanner, immédiatement, si petitement que ce soit. C’est un peu la philosophie de la maison.

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