-14 Le Village

Par Guillaume Heurtault

Les barreaux sont dans la tête.

Quatrième épisode

Je me suis trompé en faisant ce dessin, une petite étourderie. Dans le reportage de France 2 d’où est tirée cette phrase, Pierre Botton (encore et toujours lui) conjugue le verbe être au futur :

« [ Voix off ] Le maître d’œuvre c’est lui, il veut construire toute une prison, 120 places, une prison sans barreaux. [ P.B. devant la fenêtre d'un prototype de cellule ] Il n’y a pas de barreaux parce que les barreaux seront dans la tête. »

Le futur est important, ce projet n’est pour l’instant que le désir d’un puissant imbécile. Mais il pourrait bien se concrétiser sous d’autres formes. En tout cas, l’idée est précise : supprimer les barrières physiques d’un lieu de privation de liberté, pour les remplacer par des barrières psychologiques.

Pourquoi ? Pour limiter le choc carcéral et ainsi favoriser la réinsertion des détenus dans la société civile afin de lutter contre la récidive, dixit le maître d’œuvre.

Comment ça se passe ? On bâtit d’abord un centre de détention de manière à ce qu’il donne l’illusion de ne pas en être un. Une sorte de village. On organise ensuite la vie collective des résidents (dixit le maître d’œuvre) autour d’un emploi du temps quasi militaire : levé au clairon à 6h, extinction des feux à 22h. Les résidents sont issus d’une sélection de détenus volontaires. Être actif toute la journée est une obligation, l’oisiveté est proscrite. L’activité est surtout centrée sur le travail salarié, travail fourni par des partenaires privés présents dans le centre — via les fondations d’entreprises du CAC40, entre autres.

Grâce à ces barreaux dans la tête la sécurité des lieux est garantie, et les résidents sont soulagés de ne pas vivre leur détention dans des conditions intolérables. Notre démocratie libérale sera ensuite très heureuse d’accueillir en son sein de nouveaux citoyens volontaires, la tête remplie d’une phrase ambigüe :

Be seeing you !


Un délice pour prolonger cette courte réflexion — bien qu’il n’y ait pas d’infos sur l’origine de l’enregistrement, et que le sous-titrage ne soit pas terrible : Silvano Agosti sur « le discours typique de l’esclave ». Et là un supplice, le reportage de France 2 cité plus haut : 20h de France 2 – 17 mai 2011.


-14 En Flânant en chemin

Par Stéphane Vaquero

 Pendant 100nuits, chaque semaine, un sociologue propose un contrepoint à un film de 100jours. Cette semaine, + 84, de Georges Morère.

 « Lui laisser ma pension de réversion, au moins mourir tranquille s’il y a quoi que ce soit qui se passe, voilà. »

Certes, l’amour passionnel n’est plus présent. Mais il existe mille manières de vivre en couple, de vivre le couple, et c’est la leur. Le partage du quotidien, une grande complicité, des discussions, des ballades… Et une manière de construire la vie au quotidien, de « traverser l’adversité » et de passer de bons moments. Évidemment, la question de la vie après le départ de l’autre se posera, elle se pose déjà…

« Moi l’essentiel c’est… je suis bien avec Patrice, l’essentiel c’est qu’on continue ensemble. »

« Voilà, quand j’ai fêté mes 40 ans, nous avions invité toute la famille et tous nos amis… ça fait partie des bons moments qu’on a passés tous les deux, avec ceux qu’on aimait et qu’on aime encore… »

« Voilà, il restera ces souvenirs et si un jour je refais ma vie je ne pourrai jamais les oublier, ce sera jamais comme… »

« Une tumeur au cerveau, malheureusement en phase terminale, voilà… Les soins palliatifs, il n’y a malheureusement pas de guérison possible, on sait très bien que ça va se terminer par un décès dans les hôpitaux… »

Malheureusement pour certains d’entre eux, la maladie n’a pas épargné ces vies de couple ordinaires. Cet homme de presque 50 ans se rend à l’hôpital et consacre sa vie de tous les jours, voit son quotidien bouleversé par le soutien qu’il veut apporter à la personne qu’il aime et avec qui il a envie de poursuivre sa vie. La maison qu’ils ont achetée ensemble, des familles qui se sont connues, qui ont fait la fête ensemble, qui ont célébré l’union et leur vie de couple.

Heureusement, le Code Civil prévoit pour les personnes mariées la possibilité pour le « dernier vivant » de rester en possession de la maison achetée ensemble, et de bénéficier de la pension de réversion si la personne décédée était retraitée. Que serait la vie de cet homme s’il était obligé de revendre leur maison ? Et cette femme qui veut s’assurer de la capacité de l’autre à subvenir à ses besoins si elle venait à partir en premier ?

Oui. Mais la différence, c’est qu’elle se préoccupe de son amie, qu’il est bien avec Patrice, et que cet homme se rend à l’hôpital pour épauler et aider son ami.

Tous ces couples, toutes ses vies, ne sont ni plus ni moins précaires que les autres face à la maladie et à la mort. Leur différence réside dans le fait de partager et d’aimer une personne du même sexe. Lire la suite