Par Ugo Palheta
Pendant 100nuits, chaque semaine, un sociologue propose un contrepoint à un film de 100jours. Cette semaine +30 de Julien Baroghel
Parler ou être parlé…
… (disait Bourdieu), voilà un enjeu politique de premier plan. Mais conquérir une parole propre peut-il encore avoir un sens quand l’organisation capitaliste de la vie tend à ôter toute signification aux mots mêmes ? Ces mots qui devraient être gorgés de la mémoire collective de nos vies, de nos espoirs et de nos luttes, nous apparaissent désespérément vides, tant ils se trouvent intégrés aux rhétoriques publiques de la résignation imposée et au matraquage publicitaire du bonheur falsifié (« c’est quoi c’te vie ? […] c’est réellement du gâchis ! » dit le narrateur du film). Les images ne valent pas mieux. Ces affiches qui défilent dans le film de Julien Baroghel disent assez le simulacre de démocratie auquel donnent lieu les élections qu’à rythme régulier l’on nous concède, et qui ne sauraient provoquer autre chose que le silence – celui de ces passants, en attente (mais de quoi ?). Devenues terrain de chasse des spécialistes en marketing politique d’un côté, des commentateurs de sondages d’opinion de l’autre, elles refoulent en l’encadrant strictement toute intervention populaire autonome. Qu’on se le dise : la révolution ne sera ni télévisée, ni même « citoyenne » (encore un mot vidé de son sens) ; elle sera tumultueuse et, contre l’amnésie médiatiquement produite, devra se réapproprier tout un héritage de pratiques, de représentations et de mots, nouant ainsi un lien entre les espérances d’hier et les victoires de demain. Lire la suite