Par Yvalin
Mardi 6 mars – matin
Ce midi réunion à 4 ou 5 pour travailler sur le projet salle d’injection. Nous avons posé ce rendez-vous il y a un mois tout juste ; certains membres du conseil d’administration me semblaient très motivés, des actions avaient été posées (voir -83). Nous avions discuté sur la terminologie : le mot injection doit-il apparaître, dans le programme « Éducation aux Risques Liés à l’Injection » (ERLI) ne serait-ce pas le terme éducation qui pourrait passer pour du prosélytisme ? Bref nous avions pensé à « salle d’évaluation des pratiques », titre auquel j’avais ensuite ajouté « de l’injection ». Nous conservons le terme de salle qui est employé partout dans le monde, nous parlons d’évaluation pour signifier que nous sommes dans l’expérimentation et l’observation, le mot pratique signifie que nous allons consigner des observations basées sur la réalité et le mot injection délimite notre champ d’investigation. Assez bien vu non ?
Bon, hier soir j’ai vérifié mon sac, il faut que j’imprime plusieurs documents, que j’ordonne les points dont nous devrons parler.
Mardi 6 mars – dans la matinée
Je n’étais revenu sur la structure que mercredi dernier, auparavant vacances puis deux jours de formation. La réunion d’abord calé à 14 h avait été déplacé à midi trente, j’en était resté là. Et là, patatras, l’horaire de départ avait été repris et jeudi passé une collègue avait estimé que nous ne serions pas assez à l’accueil et avait donc décidé d’annuler notre réunion, les deux administrateurs avaient été prévenus ainsi que la stagiaire qui travaille avec nous sur les salles. Moi je découvre tout cela aujourd’hui. Je suis … furax, pour ne pas dire plus. Mais que faire. « -Oh tu crois qu’il y a urgence ? De plus M. est en regroupement à la fac, c’était difficile pour elle de venir». Mais de qui se moque t-on ? Après une réunion il y a des compte-rendus, avant il y a la possibilité de communiquer des questions, des écrits. Rien, rien n’a été fait. Je me retrouve comme un c… avec mon début de bibliographie commentée, mon planning à valider. J’avais sollicité, prévu des pistes de travail pour chacun. Mais je n’ai pas la responsabilité, la direction du projet, quelqu’un l’a t-il d’ailleurs ? Je n’ai que le pouvoir de suggérer des axes. La réunion avec le CA en février m’avait donné un peu d’espoir (beaucoup, trop peut-être). Un administrateur et une universitaire sont censés n’être intéressés que par ce sujet autour des salles, avec à présent l’idée que nous ne sommes plus seulement dans la compréhension de ces lieux, mais avec l’objectif d’essayer d’en mettre une en place. Alors ?
Mardi 6 mars – dans la soirée
Est-ce un travers du social, on blablate beaucoup, on perd du temps, on ne respecte pas les engagements ? J’avais déjà entendu ces critiques. C’est sûr qu’il est très difficile de quantifier, évaluer le travail, les actions. Pour les cossards, les beaux parleurs c’est une planque idéale. Nous ne sommes pas dans la production, où une unité doit fabriquer un certain nombre « d’objets » par jour ou semaine, nous ne sommes pas dans la finance ou la vente où un chiffre d’affaire, un bénéfice vient montrer le travail fourni. Nous ne sommes pas non plus dans les soins curatifs, où un certain nombre de guérisons montreraient notre efficacité. Nous sommes dans la prévention, donc il est difficile de donner un chiffre exact de maladies ou morts évités. Nous accueillons des précaires, des laissés pour compte, qui s’en soucie vraiment ?
Je me demande parfois si nous ne sommes pas tolérés, payés simplement pour tenir en laisse, faire survivre une espèce de cour des miracles qui ainsi ne fait pas trop de vagues. On nous demande de canaliser, cacher, faire du lien et tempérer des groupes, des personnes dont personne ne sait que faire. Pendant longtemps on a essayé d’enfermer les indigents (déviants, pauvres, révoltés, etc), ou de les déporter, ou de les ignorer. Aucune utopie politique qu’elle soit du XVIIIème ou d’aujourd’hui ne sait comment accepter ceux qui ne veulent pas entrer dans le comportement standard décrété.
Je rêve d’un monde sans frontières, sans lutte de pouvoir. Je rêve d’un monde nomade, sans propriétés. Je rêve d’un monde d’échanges, de communication, d’entraide. Je rêve d’un monde, non pas d’amour, mais de respect, d’attention à l’autre. Et ce n’est pas parce que je le pense impossible que je dois abandonner l’espoir de le réaliser.
Samedi 10 mars
J’étais, je suis en colère. Pourquoi les hommes ne font-ils pas d’efforts, pourquoi des siècles de civilisations diverses et variées n’ont elles pas plus bénéficiées à notre élévation morale ou intellectuelle ? Je suis en panne de phrases, d’actions à vous décrire, d’anecdotes à vous faire partager.
Heureusement ce n’est que momentané, et pour ne pas ressasser ma vindicte, je ne dirai rien de plus ; à la semaine prochaine.