Par Yvalin
Mercredi 29 février
On n’apprend pas à nager à un homme qui se noie. En premier on le sort de l’eau. On ne donne pas un ticket service ou l’adresse des Restos du cœur à un homme qui a faim, sans d’abord s’assurer qu’il aura la force d’y aller. Je force le trait ; mais lorsque nous avons en urgence ce genre de demande, nous ouvrons le frigo, regardons les étagères pour dépanner, immédiatement, si petitement que ce soit. C’est un peu la philosophie de la maison.
Bien sûr nous ne sommes pas une épicerie, bien sûr notre délivrance d’un colis alimentaire ne se fait qu’une fois par semaine et selon un protocole précis et, étonnamment peut-être, bien respecté tant par le personnel que les usagers. Mais notre humanité, notre sens de l’hospitalité et tout simplement de l’accueil font que dans une première rencontre, nous essayerons toujours de satisfaire la demande. Parce que nous savons que si pour une première fois une personne fait l’effort de venir jusqu’à nous, c’est qu’elle a une raison impérieuse. Entendre sa demande, y répondre si c’est possible, c’est ouvrir une porte, celle du dialogue et du respect. En ce sens je ne suis ni naïf, ni laxiste, mais accueillant, ouvert et à l’écoute. Mon point de vue est que donner une boite de ravioli et une de lait ne mettra pas en danger mon association. Par contre, la personne qui va recevoir cela – qui était le facteur essentiel de sa recherche, et j’insiste sur le fait de dire « était », car ce besoin appartient à présent au passé – va pouvoir se poser, souffler, se détendre et elle est alors en capacité de communiquer.
Des habitués, des personnes connues me voit faire. Jamais nous n’avons eu de reproche, au contraire, tout le monde comprend que nous sommes dans la compréhension et non la compassion, nous ne sommes pas là pour distribuer des bons ou des mauvais points . Nous n’attendons, ni n’exigeons de la reconnaissance des gens, nous ne sommes pas dans la bienfaisance et nous n’essayons pas de gagner ou monnayer quelques indulgences pour l’amélioration de notre vie future. Ce temps est révolu. Nous ne ferons pas non plus de notre action, du litre de lait que nous allons offrir, ou de la couverture un cadeau important, un instrument de pouvoir : – je possède et tu n’as rien ; -je te donnerai selon mon bon vouloir, ma générosité, ma pitié.
Si j’expose cela ici, c’est que cette après-midi même un couple a surgi, c’est le terme, un peu avant la fermeture. Ils voulaient un colis, on leur avait dit qu’ici ce serait possible. J’ai vu l’espoir dans leur demande, la lassitude dans leur être, la mine déconfite quand j’ai expliqué les règles, le soulagement en leur disant que quoi qu’il arrive j’allai leur trouver une bricole. Une boite de canneloni, un paquet de semoule, un litre de lait furent payés de deux très beaux sourires. Pour une heure ou deux j’avais soulagé un peu de misère humaine. Dois-je m’en glorifier ? Je ne le pense pas, nous avons tout de même pu un peu parler de leur situation, leurs espérances. Ce que j’espère à présent, c’est qu’un contact est né, qu’ils reviendront, que nous pourrons entamer une relation d’échange. Que nous pourrons essayer de leur apprendre à nager pour revenir à mon image du début.
Vendredi 2 mars
Hier et aujourd’hui j’ai suivi une formation avec quelques collègues de ma structure et l’équipe de l’autre structure équivalente qui existe dans notre ville. Nous nous connaissons peu, sinon beaucoup par le public que nous partageons. Leur accueil collectif est ouvert surtout le matin, le nôtre surtout l’après-midi. Hier notre formation a porté sur la définition -s’il est possible dans donner une- de la Réduction des Risques et son historique. Aujourd’hui nous avons parlé produits, trois classes pour l’OMS : calmants, stimulants et hallucinogènes auxquelles nous avons ajouté la classe des enivrants. Pour toutes les substances nous avons trouvé trois usages : récréatifs, réguliers ou abusifs.
Et nous avons longtemps débattu pour comprendre la différence entre addiction et dépendance. L’addiction relève d’un comportement compulsif, on ne sait plus s’arrêter ; la dépendance est un besoin physique, régulier, pour simplement pouvoir continuer à vivre « normalement ».
Samedi 3 mars
Le sommeil m’a interrompu hier. Je viens de me relire, hier plein de choses, d’idées, un lexique des mots de la RdR me revenaient au fur et à mesure que je lisais mes notes et je voulais tout de suite, tout, tout vous faire partager.
Et puis j’ai bien relu la première partie de mon écrit, de mercredi dernier. Cette disponibilité, cette main tendue, cettte différence entre bienfaisance et compréhension est un élément vraiment essentiel, de la RdR certainement, et plus encore de mes valeurs, de mes valeurs politiques.
Si quelqu’un trouve la source exacte, j’en serais enchanté. Car j’ai retrouvé dans un ancien écrit, cette phrase de Durkheim que je livre à votre sagacité :
« solidarité et fraternité se substitue à la charité ou la bienfaisance, qui sont les marques de société inégalitaires ; l’entraide, le secours mutuel semblent naturels dans une société de citoyens égaux »
depuis le debut de 100nuits j’aime lire tout ce que tu ecris…merci
Merci beaucoup pour ce compliment. Je prends plaisir à cette écriture … sans filet. J’espère partager avec vous un peu de quotidien et d’espoir, vu et vécu au travers de mon filtre personnel.