-29 Seul sur une île

Par Pascal Boissel

1. Naufragé.

« (...)la mer aussi s’était envenimée jusqu’à devenir un abîme sans bonté -une jungle à régenter de mes lois maritimes contre les requins, les méduses et les algues urticantes ; à chaque nouvelle lune je me dressais sur un de ces promontoires au-dessous desquels l’océan se fracasse en donnant le sentiment qu’il veut avaler l’île, et je le tenais en respect à coup de proclamations, décrets, lettres patentes et dispositions avancées de police, le tout accompagné de quelques édits sans concession ; l’article sept par exemple de mon Code maritime interdisait aux vagues de se présenter noires ou sombres, l’indigo clair ou le vert de jade seuls se voyaient tolérés ; je mis de l’ordre dans les tempêtes, en les obligeant à des obligations préalables, et je fixai très sérieusement la distance sur laquelle il leur était possible de pénétrer les terres ; je traitais de la pêche des poissons-coffres, de l’interdiction de séjour des poissons venimeux, de la répartition des crabes, de l’envahissement des tortues,(…)je reconnais avoir soumis cette mer aux rigueurs d’une dictature féroce, et l’avoir ainsi cantonnée sans appel dans les limites et le poison de sa grande haine à mon égard… ; (…) »

Un homme, naufragé, sans mémoire, seul sur une île, perd le sens commun et entreprend de régenter par décrets et furieuses injonctions, les forces avoisinantes, vagues excessives, tempêtes hostiles à sa personne, animaux marins divers, tous décidément méchants envers lui.

Nous sommes dans l’univers de Patrick Chamoiseau, dans son livre, «  L’empreinte à Crusoé », pages 40-41.

Un être sans passé se raccrochant à un comportement de bureaucrate haineux, seul avec sa rage, loin de tout. Par ses édits, il croit instaurer la civilisation en une terre à laquelle il ne comprend rien.

Puis il voit une empreinte, celle d’un pied humain, d’un humain autre qu’il ne voit pas :

« depuis que j’avais la certitude que cet Autre était là, ,et qu’il y vivait avec intensité, je mesurais à quel point jusqu’alors mon espace était resté figé ; combien j’avais maintenu cette île dans une immobilité aussi massive que sommaire (…) (page 96)

L’homme perdu retrouve un peu de son humanité à chercher un Autre lointain. Et puis :

2. Un tract à Poitiers.

« Pendant les élections les expulsions continuent !

Les obligations de quitter le territoire pleuvent. Des conjoints sont séparés, des fratries éclatées, le droit élémentaire à l’éducation refusé de fait aux enfants . Cela touche aussi des familles entrées légalement en France et qui y vivent depuis plusieurs années .

Récemment, Kévin, tout juste majeur, scolarisé au lycée de Kyoto, est arrêté à deux mois du bac. Il risque d’être renvoyé en République Démocratique du Congo dans le pays où son père a été assassiné, alors que sa mère, ses frères et sœurs vivent ici, et lui même depuis 2006 (à 14 ans). La raison invoquée par le préfet :des actes délinquants commis à l’âge de 15 ans ayant fait l’objet d’un jugement exécuté !(T.I.G. et sursis)

Avec la politique du chiffre et les surenchères de la période électorale on assiste à une véritable chasse à l’étranger. Sous les ordres des préfets, l’administration multiplie les procédures qui bafouent les droits humains, qui mettent délibérément les demandeurs de carte de séjour dans l’illégalité. Les dernières lois visant les étrangers ont été conçues pour restreindre au maximum leurs possibilités de mettre en œuvre une défense juridique.

C’est une politique délibérée qui désigne les étrangers comme boucs émissaires…

pour masquer les vrais responsables d’une crise qui ne cesse de s’aggraver

En faisant du contrôle de l’immigration une priorité, le gouvernement de Sarkozy montre du doigt les immigrés comme principaux responsables de la crise. Il laisse entendre que l’expulsion des étrangers en situation irrégulière permettra d’améliorer la situation économique en France. Il rejoint de plus en plus clairement les positions du Front National dont il convoite les électeurs…

Les politiques libérales menées depuis plus de 30 ans ont entraîné chômage, précarité, bas salaires dégradation des Services publics notamment de l’Éducation et de la Santé. La colère monte. l’Étranger devient un bouc émissaire idéal pour éviter que tous ceux qui subissent les conséquences de cette politique ne s’unissent, et ne s’en prennent aux vrais responsables en exigeant un véritable changement.

Ce gouvernement prend ainsi la lourde responsabilité de développer dans la société française et de légitimer un racisme majoritairement islamophobe , un nationalisme agressif et une idéologie d’extrême-droite qui nous rappellent les pires heures de notre histoire

Sur une île, l’État, des bureaucrates multiplient les consignes, lois, décrets pour chasser des êtres parlants, hallucinés par eux comme ennemis.

Le livre de Patrick Chamoiseau nous interroge sur notre condition d’être humain comme être social.

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