Par Yvalin
lundi 20 février – fin de journée
Je viens de découvrir le « rapport d’informations sur les toxicomanies », établi par la mission d’information sur les toxicomanies, rassemblant des élus des deux assemblées, rapport partisan mais c’est une mine. Dans les sens propre comme figuré.
Au sens figuré, c’est le dernier grand rapport, paru durant l’été 2011. 2OO pages de rapport et près de 500 pages de compte-rendu d’auditions aussi variés que SOS DI, Aides et l’Afr versus Parents contre la drogue, la Mildt, etc. Nous avons donc à sa lecture un panorama très complet d’avis divergents.
Au sens propre, c’est une mine, car il faut vraiment fouiller, chercher, mettre en relation les phrases, les citations.
Partisan car il pose « un objectif légitime : une société sans drogues », c’est-à-dire sans drogues illicites parce que « les unes sont inscrites dans notre culture, les autres non » (page 126 tome 1). Il détourne allègrement des propos en les citant exactement mais hors contexte, par exemple une phrase de Jean-Marc Borello (SoS Di) est citée pour appuyer l’idée « du monde sans drogue » (page 125 T1) alors qu’elle est sortie de son contexte (p. 189 T2).
Néanmoins c’est un texte qui est me semble-t-il très important, tout comme le rapport de l’Inserm qui est abondamment cité et commenté, car il donne les dernières réflexions sur la réduction des risques, la pertinence des centres d’injection supervisés (p. 153 à 180), et rapporte toutes les objections contre ces centres, la réforme de la loi de 1970 et les orientations qu’il faudrait donner : plus de communautés thérapeutiques et plus de maraudes pour toucher les grands exclus (c’est-à-dire les persuader de se faire soigner).
À retrouver sur www.senat.fr/rap/r10-699-1/r10-699-11.pdf et www.senat.fr/rap/r10-699-2/r10-699-21.pdf
« Dit donc c’est gentil de me faire lire tes rushs, mais tu devais pas parler du bras ; c’est quoi d’ailleurs cette histoire, vous vous baladez avec un faux-bras de partout ? »
Le faux bras …
le surlendemain
Le faux bras, ma première rencontre avec lui remonte aux Troisièmes Rencontres Nationales de la Réduction des Risques à Montreuil en octobre 2010 ( http://a-f-r.org/ ).
À l’étage il y avait un gars qui présentait le programme ERLI, il avait devant lui une petite table, un peu de matériel, et, un bras. Trois personnes avec lui, il parlait principalement avec l’une, je m’approchais pour écouter comme les autres. Peu à peu beaucoup de monde écoutait, pourtant ils étaient toujours dans ce dialogue du début. Je découvrais la réduction des risques et je me rendis compte ce jour là que beaucoup de travailleurs des différentes structures connaissaient en fait peu l’injection en elle-même. Ce bras nous fascinait, mélange d’attirance et de répulsion. On proposa à la personne de refaire tous les gestes. Je ne me rappelle plus s’il lui a demandé de faire sa préparation ou juste de remplir sa seringue d’un peu d’eau, puis de trouver le bon point d’injection. Et là sans aménités, ni moqueries, nous avons vu notre cobaye se débattre, se tromper, avoir bien des difficultés. Personne ne pipait mot ; personne ne faisait le fiers ; tous nous prenions la mesure du geste, à la fois très technique et très intime.
Hélas, c’était la fin des rencontres, je n’ai ni eu le temps, ni osé entrer dans la discussion. Pas vraiment choqué ou déstabilisé, j’étais un peu mal à l’aise, cela faisait tant d’années que je n ’avais pas vu une pompe dans son emploi, sa fonction, pas juste inerte au fond du sachet.
Il m’a fallu plusieurs semaines avant d’en parler aux collègues à mon retour au boulot, entre temps j’avais beaucoup cherché ce qu’était ce programme ERLI : éducation aux risques liés à l’injection ( http://www.sidaparoles.org/spip.php?article7 ). Et je commençai à mieux comprendre à quoi pourrait servir un bras.
En novembre 2011, j’ai suivi une formation ERLI, nous étions huit et tous venant de Caarud et désirant développer ce programme sur nos propres structures ; ce qui n’est pas si simple, mais c’est une autre histoire. Je n’ai pas revu le gars qui faisait la démonstration, et nous n’avons pas utilisé de bras artificiel. Néanmoins en revenant dans ma structure nous avons décidé d’en acheter un.
retour arrière
Le carton est dans l’infirmerie, tout le monde a été soulevé le couvercle. Enfin après dix jours de purgatoire, et d’apprivoisement intellectuel, je prends le temps de m’installer sur une grande table et de tout déballer. Mode d’emploi hyper sommaire, aspect vivant hyper réaliste. Il faut remplir son système veineux avec un liquide coloré, le poser ici, le pencher comme ça. Sans trop renverser de colorant de partout ! J’ai une panoplie de seringues devant moi, et des aiguilles plus ou moins fines, plus ou moins longues. Premier essai, pas si simple. Second, toujours rien. Ma première peur (j’ai une frousse irraisonnée des piqures, si, si, véridique), c’était déjà de savoir comment j’allais poser la pointe de l’aiguille et transpercer la peau. Réelle ou non. Quelle serait le degré de résistance. Une fois dans la chair, on fait une petite « tirette », c’est à dire que l’on aspire : si un peu de sang, ici du liquide coloré, vient, s’il est foncé, on est dans la veine. À la troisième tentative j’y arrive. Puis je réessaye avec différentes aiguilles, en différents points. L’appréhension peu à peu me quitte, c’est presque un jeu : y arrivera, y arrivera pas. Des collègues regardent de loin : « Ça va ? – Pas si simple ! ». L’une s’y intéresse, commente, essaye, se prend au jeu.
Pourtant ce n’est pas un jeu, la gravité, l’absurdité de la situation nous saute parfois aux yeux. Nous n’allons jamais piquer quelqu’un et ce n’est pas pour notre usage personnel non plus. Mais nous comprenons mieux la difficulté de se piquer soi-même, il faut avoir une grande dextérité et souplesse pour arriver à changer fréquemment de point d’injection comme c’est recommandé. Le rituel, la précision, le temps et la tranquillité nécessaire, l’espace propre (figuré et réel) nous apparaissent vraiment. L’injection est souvent décrite comme un moment de forte intimité, j’en prends mieux la dimension. Ce moment privilégié, secret, bref, intime nécessite une grande confiance, car c’est un grand abandon, dans le sens vulnérabilité et mise à nu.
Nous, je, ne sais pas encore très bien comment nous allons utiliser cet outil. En dehors des blagues potaches. Deux usagers lorsqu’ils ont su que nous avions cela, on voulu le voir, je suis allé le chercher et nous avons sorti du matériel, j’ai pu voir la précision, la lenteur (dans le sens attentionné) des gestes. Le détail technique : t’as fait le trou, mais rien ne monte, sans ressortir l’aiguille, on recule légèrement et on prend plus d’inclinaison avant d’aller chercher à droite ou à gauche. Enfin une goutte de sang (enfin ici de grenadine) monte, c’est bon. J’en perds pas une miette, j’observe, j’apprends. Cela nous permet de parler veines et artères, perte de produit si on ne fait pas gaffe et qu’on l’envoie en sous-cutanée.
Une autre usagère trouve cela non seulement ridicule mais nous désapprouve. Pourtant elle connaît tous les intervenants de la Boutik depuis longtemps, mais pour elle c’est de l’incitation, du pousse au vice. Est-ce parce qu’elle essaye de très fortement réduire sa consommation ? Ou n’a-t-elle pas raison ? Jusqu’où devons-nous aller ? Nous partons du postulat que celui qui doit rencontrer l’injection y arrivera d’une façon ou d’une autre, et que nous voulons donner le maximum d’explications, de bonnes pratiques, pour que, s’il désire sauter le pas et seulement s’il le veut, il le fasse avec le moins de risques possibles. Avec mon faux-bras en bandoulière, est-ce que je ne vais pas trop loin?