-57 La belle scandaleuse

Par Pascal Boissel

Un discours xénophobe qui vient de l’État.
Dans les années 1980′s, le psychanalyste Gérard Miller s’inquiétait de ce qu’avec la montée du FN on s’habituait à entendre parler des étrangers en France en des termes qui depuis 1945 avaient été considérés inadmissibles. La situation, de ce point de vue, n’a fait qu’empirer ; et cette campagne électorale fait franchir un seuil dans le niveau de la parole crapuleuse. Toute hypocrisie, toute ambiguïté sont délaissées ; un discours de rejet, un discours xénophobe, islamophobe, et potentiellement antisémite s’affiche dans fard.
Le 10 janvier, le Ministre de l’Intérieur, un certain Claude Guéant, se félicitait d’avoir battu le record du nombre annuel d’expulsion d’étrangers. Chacun a les jouissances qu’il peut. Puis, le 2 mars, il affirma que le droit de vote aux élections locales des étrangers aurait pour conséquence l’obligation de manger de la viande halal dans les cantines scolaires. « Étranger » équivaut selon ce discours à « étranger musulman pratiquant », nécessairement intolérant (à la différence de nos gentils dirigeants policiers supposés très tolérants et très légèrement xénophobes par carriérisme). Manger halal deviendrait un risque de santé publique…
Fillon, une sorte de Premier ministre en exercice, tint à à ajouter un mot concernant la nourriture casher des Juifs religieux et pratiquants, ringarde et non scientifique selon son expertise de catholique pratiquant. Ce fut troublant : les gouvernants, jusque là, prenaient parti contre les musulmans, et pour une alliance avec des conservateurs religieux chrétiens et juifs. Attaquer la religion juive était certes très logique depuis la laïcité redéfinie par le FN comme arme nationaliste, xénophobe et islamophobe. Mais le contenu antisémite était, ces dernières années, soigneusement caché ; tactiquement l’antisémitisme ne pouvait plus se dire. Maintenant c’est dit, et par un haut personnage de l’État qui n’est pas particulièrement antisémite, très certainement, mais qui est logique. Une logique de haine.

Vers une laïcité d’État raciste ?
Quelques mots sur la religion et la nourriture s’imposent ici. La civilisation chrétienne serait la référence de « la France » à en croire les idéologues de l’UMP et du FN. Saint Paul, grand nom s’il en est de la chrétienté à ses débuts, justifia la levée des interdits alimentaires juifs afin d’étendre le champ de la nouvelle religion chrétienne hors du peuple juif, et afin de redéfinir cette foi selon des critères à vocation universelle. Puis il y eut des débats théologiques dans les religions monothéistes et entre elles sur la place des interdits alimentaires, sur la possibilité ou non de représenter Dieu, de le nommer, etc. Aujourd’hui, nul débat : au nom d’une pseudo-laïcité redéfinie par les xénophobes du FN et de l’UMP, ceux qui ne mangent pas selon des critères soudainement devenus incontournables, devraient être exclus. C’est la victoire des promoteurs des soupes populaires à base de porc, héritiers novateurs des nazis. Pourra-t-on tomber plus bas ? Assurément, oui ; dès demain si nous laissons faire.

Néolibéralisme et répression étatique. Philippe Pétain et Nicolas Sarkozy.
La droite et l’extrême-droite concourent à une politique sécuritaire construisant le consensus de citoyens isolés et apeurés depuis plus de trente ans. Depuis le colloque de Villepinte, en 1997, le PS partage cette logique, ce qui n’était pas le cas auparavant(1). La répression, étatique ou déléguée à des officines privées, s’appuie sur le principe que « les honnêtes gens n’ont rien à craindre, car rien à se reprocher » (1). Les maîtres du moment, élites économiques, politiques, militaires et policières, ne sauraient être contestées en quoi que ce soit, en cette sombre époque néolibérale. Le consentement au fichage et au flicage paraît presque unanime et « les activités humaines sont cartographiées en temps réel », transformées en données individuelles devenant marchandises ; et la « nouvelle économie » voit ainsi s’ouvrir à elle des gisements de profit nouveaux. Profit, ségrégation, société  de surveillance vont d’un même pas pressé.
Dans ce monde néolibéral, monde de la marchandise et de l’argent dématérialisé qui circulent à une vitesse endiablée, toute liberté est réservée à quelques élites et à ces produits. Quant à l’immense majorité  de la population, elle est soit assignée à résidence, soit intégrée dans des « flux » de population qui sont très sévèrement contrôlés par les polices. Dans ce contexte, le philosophe Alain Badiou, en 2007(2), proposait que Sarkozy était le nom d’un nouveau pétainisme : « la capitulation et la servilité se présentent comme invention, révolution et régénération ». En effet, la haine du peuple, multiple, vivant et indocile, prend la forme de la servilité envers des modèles étrangers : hier Sarkozy disputait au britannique Blair la place de premier caniche du Président des USA Bush ; aujourd’hui, il est le propagandiste le plus dévoué de la bourgeoisie allemande et de son personnel politique. Auparavant, Pétain invita le peuple de France à se soumettre à l’occupant nazi.
Le mépris haineux par le Président du peuple de son pays s’exprime ainsi. Cela devant rester caché, mépris et haine viennent accabler très officiellement les seules populations immigrées, proposées comme objet de ressentiment national, en ce pays comme dans dans les autres pays, européens singulièrement.

 Expulsions d’étrangers. Jusqu’où ?
Les « zones d’attente » où sont retenus les étrangers en situation irrégulière se multiplient en Europe. Ce qui était état d’exception de vient la règle(3) ; ces zones de non-droit prolifèrent, où sont confinés des parias, sans reconnaissance légale, sans visibilité sociale. L’historien Enzo Traverso, cite la philosophe Hanna Arendt, à propos des camps nazis et de ceux qui y furent déportés : « les nazis (…) avaient découvert, à leur grande satisfaction, qu’aucun pays n’allait réclamer ces gens-là. (…) la complète privation de droits avait été créée bien avant que le droit de vivre ne leur soit contesté ». Rendre des populations invisibles, vérifier l’indifférence générale au sort de ces personnes fut une condition à la mise en place de l’extermination.
Actuellement, on rafle, on enferme, on disperse les familles, on s’acharne sur les enfants, on expulse, on laisse mourir de noyade en Méditerranée. On ? L’État et ses ramifications. « L’État français » comme disaient les jeunes élites intellectuelles ralliées à Pétain en 1940-44.
Certes, comparaison n’est pas raison : Sarkozy n’est pas maréchal à la différence de Pétain, une catastrophe semblable à celle du nazisme n’est pas annoncée, l’anachronisme n’aide pas à penser.
Mais l’historien Traverso insiste sur un point qui peut avoir quelque actualité : le nazisme fut un prolongement de l’entreprise coloniale et de ses monstruosités ; il fut un développement industriel avant que l’industrie de la destruction des Juifs et des Tsiganes ne soit mise en place. Les génocides ne sont pas une simple continuité de la barbarie coloniale et capitaliste, mais celle-ci prépara
les conditions de possibilité de cette horreur inédite. « Auschwitz réalise la fusion de l’antisémitisme et du racisme avec la prison, l’usine capitaliste et l’administration bureaucratique rationnelle. (…) En ce sens, le génocide juif constitue un paradigme de la barbarie moderne » (4).
Actuellement , l’intensification de l’exploitation capitaliste (licenciements de masse, boursiers ou non ; baisse du pouvoir d’achat de la majorité de la population ; souffrance au travail devenant paroxystique, etc.), le rejet hors de l’humanité des étrangers sans droits, la répression des minorités agissantes (depuis les « anarcho-autonomes » jusqu’aux syndicalistes combatifs, en passant par les jeunesses des cités ou d’ailleurs) créent un climat pouvant évoquer les années 1930s.
Dès les années 1980s, les néolibéraux exportèrent l’exemple chilien (1973), où le président élu, Allende, fut renversé et tué, où 3000 militants furent assassinés par la soldatesque, où un développement économique inégalitaire et dictatorial fut expérimenté. Thatcher, en Grande-Bretagne, s’appuyant sur cet exemple enthousiasmant pour les possédants, brisa un mouvement syndical séculaire et reconfigura durablement son pays. Sarkozy rêve de faire de même en France . Les conditions d’une société de contrôle et de surveillance, impitoyable et d’un type nouveau, sont probablement rassemblées.

 La démocratie est scandaleuse.
Il est encore temps de briser l’offensive de Sarkozy, des capitalistes. Nous pouvons lui opposer nos valeurs internationalistes et démocratiques, valeurs devenues strictement subversives aujourd’hui. « La démocratie est scandaleuse parce qu’elle doit, pour survivre, aller toujours plus loin, transgresser en permanence ses formes instituées, bousculer l’horizon de l’universel, mettre l’égalité à l’épreuve de la liberté .(…). elle doit chercher à étendre en permanence et dans tous les domaines, l’accès à l’égalité et à la citoyenneté . Elle n’est elle-même que si elle est scandaleuse jusqu’au bout », ainsi parlait le philosophe Daniel Bensaïd. (5).

Bibliographie.

1. David Forest, « Abécédaire de la société de surveillance », Ed. Syllepse, 2009.
2. Alain Badiou, « De quoi Sarkozy est-il le nom ? », Ed. Lignes, 2007.
3. Enzo Traverso, « Le passé, mode d’emploi », Ed. La fabrique, 2005.
4. Enzo Traverso, « Pour une critique de la barbarie moderne », Ed. Page deux, Lausanne, 1997.
5. Daniel Bensaïd, « Le scandale permanent », in « Démocratie, dans quel état ? », ouvrage collectif, Ed. La Fabrique, 2009.

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