-14 En Flânant en chemin

Par Stéphane Vaquero

 Pendant 100nuits, chaque semaine, un sociologue propose un contrepoint à un film de 100jours. Cette semaine, + 84, de Georges Morère.

 « Lui laisser ma pension de réversion, au moins mourir tranquille s’il y a quoi que ce soit qui se passe, voilà. »

Certes, l’amour passionnel n’est plus présent. Mais il existe mille manières de vivre en couple, de vivre le couple, et c’est la leur. Le partage du quotidien, une grande complicité, des discussions, des ballades… Et une manière de construire la vie au quotidien, de « traverser l’adversité » et de passer de bons moments. Évidemment, la question de la vie après le départ de l’autre se posera, elle se pose déjà…

« Moi l’essentiel c’est… je suis bien avec Patrice, l’essentiel c’est qu’on continue ensemble. »

« Voilà, quand j’ai fêté mes 40 ans, nous avions invité toute la famille et tous nos amis… ça fait partie des bons moments qu’on a passés tous les deux, avec ceux qu’on aimait et qu’on aime encore… »

« Voilà, il restera ces souvenirs et si un jour je refais ma vie je ne pourrai jamais les oublier, ce sera jamais comme… »

« Une tumeur au cerveau, malheureusement en phase terminale, voilà… Les soins palliatifs, il n’y a malheureusement pas de guérison possible, on sait très bien que ça va se terminer par un décès dans les hôpitaux… »

Malheureusement pour certains d’entre eux, la maladie n’a pas épargné ces vies de couple ordinaires. Cet homme de presque 50 ans se rend à l’hôpital et consacre sa vie de tous les jours, voit son quotidien bouleversé par le soutien qu’il veut apporter à la personne qu’il aime et avec qui il a envie de poursuivre sa vie. La maison qu’ils ont achetée ensemble, des familles qui se sont connues, qui ont fait la fête ensemble, qui ont célébré l’union et leur vie de couple.

Heureusement, le Code Civil prévoit pour les personnes mariées la possibilité pour le « dernier vivant » de rester en possession de la maison achetée ensemble, et de bénéficier de la pension de réversion si la personne décédée était retraitée. Que serait la vie de cet homme s’il était obligé de revendre leur maison ? Et cette femme qui veut s’assurer de la capacité de l’autre à subvenir à ses besoins si elle venait à partir en premier ?

Oui. Mais la différence, c’est qu’elle se préoccupe de son amie, qu’il est bien avec Patrice, et que cet homme se rend à l’hôpital pour épauler et aider son ami.

Tous ces couples, toutes ses vies, ne sont ni plus ni moins précaires que les autres face à la maladie et à la mort. Leur différence réside dans le fait de partager et d’aimer une personne du même sexe. Quoi de plus intime, non pas comme choix, mais comme parcours de vie ? De quel droit ces vies-là ne devraient-elles pas être protégées par les filets juridiques accordés aux personnes mariées ? L’État fixe un cadre protecteur aux personnes unies devant le Maire, indépendamment de la charge symbolique que représente la cérémonie du mariage. Certes, la famille est ce que l’on appelle en sociologie une « institution ». Une institution au fondement à la fois social, politique (dont les règles sont fixées par le cadre légal) et religieux pour certains. Pour certains ? S’il est vrai que les couples qui décident de se marier font le choix de la cérémonie religieuse ou non, sur quel autre fondement que le fondement moral pourrait s’appuyer la discrimination en droit qui empêche les couples homosexuels de bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels ?

« Le pacs oui d’accord, mais le pacs ça donne quoi ? À part payer un peu moins d’impôts, oui, et encore… mais à part ça ? Pour moi c’est de la poudre aux yeux. Qu’on parle de mariage homosexuel je veux bien, mais il faut que tout le reste suive, tous les avantages, tous les biens communs soient réunis, faut que ce soit comme les autres personnes quoi ! Moi demain mon ami vient à décéder, je suis obligé de vendre la maison… C’est pas normal, la maison on l’a payée à deux… Moi si mon ami vient à mourir demain je suis obligé de repartir à zéro quoi ! »

Depuis 1960, le nombre annuel de divorces a été multiplié par quatre ; il y a environ 100 000 mariages de moins chaque année ; désormais la majorité des enfants naissent de parents non mariés. Depuis 1999, le pacs (Pacte civil de solidarité) permet aux couples homosexuels et hétérosexuels une reconnaissance légale de leur union. Cette innovation juridique va dans le sens d’une moindre emprise de l’institution sociale du mariage dans la vie en couple. Selon le sociologue Wilfried Rault1, les couples ont largement investi cette possibilité d’union : aujourd’hui environ 200 000 pacs sont signés chaque année, presque autant que de mariages, et ils le sont à plus de 90 % par des couples de sexe opposé. Mais le pacs permet une grande souplesse d’appropriation symbolique par les contractants. Wilfried Rault a rencontré des couples qui peuvent investir symboliquement leur union par le pacs (dans deux sens bien différents : comme des « fiançailles », préalables au mariage, ou bien comme un « mariage alternatif », notamment pour des couples hétérosexuels) ou au contraire l’appréhender simplement comme une possibilité de se protéger administrativement et financièrement, dans le cas de l’achat d’une maison par exemple. Là encore, le pacs peut être un préalable ou une alternative au mariage.

Pourtant il y a des domaines que seul le mariage protège. Pour un couple homosexuel par exemple, il existe deux possibilités pour avoir un enfant : soit l’un des deux partenaires a un enfant seul ou d’une précédente union, soit l’un des deux partenaires adopte. Dans tous les cas l’adoption conjointe n’est pas autorisée par le pacs. Autre domaine qui touche de plein fouet les couples homosexuels dont l’un des deux décède : la pension de réversion (la part de retraite que touche automatiquement le survivant si le couple est marié) n’existe simplement pas. Ainsi un retraité homosexuel, même pacsé, ne peut s’assurer du maintien des ressources financières de son conjoint s’il décède.

« Je suis pour l’égalité des droits dans tous les domaines, qu’on l’appelle le « mariage autrement », je m’en fiche, si le pacs donne les mêmes droits que le mariage, eh ben ce sera parfait pour moi, voilà. »

L’inégalité de droits entre un couple marié et un couple pacsé relève de la discrimination et deux questions bien différentes se posent aujourd’hui. La première est celle de la reconnaissance du mariage homosexuel en France qui est légalisé dans une quinzaine de pays dans le monde, dont certains où la religion catholique est prégnante (l’Espagne, l’Argentine). Là-dessus la France est à la traîne, et 10 ans de majorité parlementaire à droite n’ont pas arrangé les choses. Christine Boutin n’est pas la seule à droite à s’opposer fermement à cette évolution institutionnelle, et les dérapages homophobes plus ou moins contrôlés le montrent clairement. Malgré tout, cette question de la reconnaissance du mariage homosexuel relève autant du symbolique que du juridique. Il existe un moyen bien plus simple et rapide pour permettre à ces couples de ne pas rajouter inutilement des difficultés humaines et financières à la souffrance de la perte d’un proche : donner aux partenaires d’un pacs les mêmes droits qu’à des personnes mariées. Autoriser le versement de la pension de réversion ne grèverait pas lourdement le budget des caisses de retraite ; accroître la solidarité financière en termes de succession ou automatiser le transfert de l’autorité parentale en cas de décès du parent biologique pénaliserait qui au final ? Les familles de la personne décédée, dans le cas où elles n’accepteraient pas de voir ces droits transférés non pas à eux mais au survivant du couple. Ce qui paraît « normal » et « naturel » dans le cas de couples hétérosexuels (après tout, les beaux-parents ne sont pas obligés de bien s’entendre avec le conjoint survivant, pour autant ils n’en ont pas plus de droits en cas de décès de la personne) ne l’est pas pour les couples homosexuels et dans le cadre du pacs ce genre d’innovation pourrait être pris rapidement, dès cet été, par un gouvernement qui reconnaîtrait pleinement la légitimité des couples homosexuels à vivre et à avoir des enfants. Ce qui n’occulte pas la question du mariage homosexuel, mais qui peut être débattue plus sereinement si ça ne se fait pas dans l’urgence. L’urgence se trouve dans le rétablissement plein et entier de l’égalité de droits, qui doit être fait au plus tôt et peut être voté dans les semaines suivant les élections parlementaires.

Une autre conséquence positive liée au fait de consolider le pacs et pas seulement le mariage homosexuel est que ça enlèverait une autre forme de discrimination : celle qui s’opère aujourd’hui envers les couples hétérosexuels qui décident de ne pas remettre leur union aux mains de l’institution du mariage et qui pour autant sont en droit de revendiquer la protection dont jouissent les personnes mariées.

L’institution du mariage perpétue par le droit des valeurs religieuses qu’un État laïque doit pouvoir neutraliser, au sens de rendre neutre moralement. Le pacs semble être un outil approprié pour aller en ce sens, il faut terminer le travail engagé il y a maintenant 13 ans.

1 Rault Wilfried, « Entre droit et symbole », Revue française de sociologie, 2007, vol. 48, no 3, pp. 555–586.

 

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