Par Raymond Bozier
– Les murs d’un édifice, d’un bâtiment, d’une maison*. Murs extérieurs, gros murs (V. Cage, II). Murs intérieurs, de refend*. V. Cloisons. Murs latéraux, de façade. Murs de fondation, murs portants.
Fiction cloisonnante : Il y avait des tiroirs dans la cloison en fond de chambre. Le voyageur exténué les ouvrit un à un puis les repoussa d’un coup sec. Le glissement des casiers sur les rails et le claquement bref accompagnant les fermetures lui procurèrent à chaque fois un plaisir sans nom (une sorte de jouissance interne prenant naissance dans le ventre puis irradiant le reste du corps). Ce ne fut qu’après la manipulation du huitième tiroir qu’il prit conscience d’une présence derrière lui et qu’il se retourna. Sa mère et sa sœur, vêtues d’une chemise de nuit transparente, étaient allongées sur son lit et dormaient paisiblement. Elles paraissaient l’une et l’autre totalement indifférentes à la lumière crue qui tombait du plafonnier. Cette situation inattendue le laissa quelque peu perplexe. Il ne comprenait pas comment les deux intruses avaient fait pour s’introduire dans sa chambre et s’installer dans son propre lit. Mais il n’écartait pas non plus l’hypothèse que quelqu’un les ait amenées là sans qu’il s’en aperçût. La découverte d’une scie électrique au pied du lit le rasséréna. Il brancha l’appareil, le mit en marche et commença à débiter la jambe la plus proche. Il nota avec surprise que l’os avait la tendreté d’une branche de figuier et que le bruit de la scie s’entendait à peine. En outre, sa mère, d’habitude plutôt geignarde et prompte à lui décocher, à la moindre occasion, des gifles bien appuyées, demeurait impassible et ne se plaignait de rien. Lorsque le membre fut séparé du reste du corps, il le souleva avec précaution et alla le déposer dans un des tiroirs de la cloison. Il attaqua ensuite l’autre jambe, puis les bras, la tête, le tronc…
Il partagea sa demi-sœur avec la même rage qui l’envahissait chaque fois que sa mère l’obligeait à découper le poulet dominical : un jour elle l’avait frappé sur la tête avec le plat d’un hachoir (pour un peu il avait cru qu’elle allait lui fendre le crâne !), un autre dimanche elle lui avait flanqué un méchant coup de torchon humide sur ses cuisses nues… Le tronçonnage de sa demi-sœur ne provoqua également aucune réaction secondaire ou intempestive. Pas de résistance, pas de saignements, de cris, de larmes, tout se déroulait comme sur des roulettes. L’opération était à tous égards propre, nette et sans bavure. Seul le déplacement des viscères posa quelques difficultés au voyageur exténué, en effet, ne disposant ni de baquet ou de bassine à portée de main, il ne trouva d’autre moyen pour transporter ces choses encombrantes, que d’en faire un tas, puis de les enlacer et de les serrer contre son ventre. Geste il faut l’avouer peu ragoutant, mais qui ne laissa cependant aucune trace sur sa chemise à fleurs.
Par souci de l’ordre des choses, il réserva les tiroirs de gauche à sa mère et ceux de droite à sa demi-sœur. Il veilla de la même manière à placer les têtes dans les tiroirs du haut et les jambes dans ceux du bas. Un bras maternel rangé dans le tiroir d’une sœur utérine eût été, pour lui, la pire des fautes, une sorte de geste déplacé, un désordre inacceptable. Quand tout fut achevé, il plia les chemises de nuit et les rangea tout aussi soigneusement dans deux tiroirs du bas. Ensuite, il se coucha, éteignit la lumière et, sans être aucunement perturbé par quoi que ce soit, il s’endormit en pensant à son beau-père : demain, il lui faudrait l’attaquer à son tour, mais à la hache cette fois. Nul doute que le militaire de carrière, violent comme pas un, fasciste et amateur de coups tordus, serait autrement plus coriace et résistant que les deux femmes.
– Allus. Littér. Le petit pan de mur jaune (d’un tableau de Ver Meer de Delft), symbole de perfection artistique qui hante l’écrivain Bergotte au moment de mourir, dans la Recherche du temps perdu (PROUST, Prisonnière, t. III, p. 187. Ed. Pleiade).
Drôle d’histoire.
Ca m’évoque le film « Souviens-toi Ulysse », où Ulysse, gangster des années 30, voyage dans une grande maison en compagnie de son fils et d’une femme noyée. Dans chaque pièce les souvenirs resurgissent.