-85 Être civilisé. contre Guéant.

Par Pascal Boissel

À 85 jours de l’élection présidentielle, la campagne oppose Hollande, socialiste qui dit affronter « la finance », à l’UMP dont le chef minaude avant de se déclarer candidat. Dire que le PS français, qui a donné des dirigeants à l’OMC et au FMI, s’oppose au capitalisme financier peut distraire quelques instants; mais la parade actuelle ne saurait illusionner beaucoup de personnes même si elle permet aux experts de disserter à l’infini. Alors, devons-nous nous désintéresser de cette joute électorale où il faudrait choisir un hyper-président, puis dans la foulée, élire des députés vassaux du premier ? Non.

Il y a des mots qui viennent résonner singulièrement dans le brouhaha médiatique. Ainsi du mot « civilisation ». Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, homme de confiance de longue date du Président, grand expulseur d’étrangers, a parlé tout récemment devant un auditoire de l’UNI, la droite de la droite étudiante, les futurs cadres politiques de la droite de demain, de la supériorité de sa civilisation. Il précisa ensuite que la civilisation adverse était celle des musulmans. La sienne est-elle française? européenne? blanche? chrétienne? Un peu de tout ça, sans doute.

Un député de la Martinique, héritier politique d’Aimé Césaire, Serge Letchimy a interpellé le blanchâtre ministre en ces termes:  » vous nous ramenez, jour après jour, à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration, au bout du long chapelet esclavagiste et colonial » (1). Une campagne médiatique s’en est suivie, du Figaro à Libération, pour reprocher à Letchimy d’avoir traité Guéant de nazi, ce qu’il ne fit pas. Oui, il y eut bien  une forme de continuité entre les massacres de l’entreprise impérialiste européenne en Afrique, en Asie et en Amérique latine d’une part et les génocides industriellement organisés du nazisme d’autre part, même si il n’y a pas équivalence entre impérialisme (français ou anglais) et nazisme (2).

Ajoutons que dans les années 30, le racisme (Arthur de Gobineau, promoteur des jeux olympiques modernes), l’euthanasie des malades mentaux (Alexis Carrel, grand médecin et prix Nobel), la supériorité intellectuelle et morale de la « race blanche » étaient discutés et défendus publiquement par des intellectuels et des savants. Ici, les nazis n’inventèrent rien. Et le parti nazi était hégémonique chez les étudiants allemands dès avant sa prise de pouvoir. Il serait donc bien stupide de réduire le fascisme, le nazisme, l’extrême-droite à des imbéciles cogneurs et incultes. La barbarie nazie fut accompagnée par les classes dominantes mais aussi par une fraction importante des intellectuels.

Guéant sait qu’il parle la langue des héritiers des fascismes en parlant d’une civilisation supérieure. Ce mot de civilisation a été redéfini pour la droite depuis les années 60 par le « Groupe de recherche et d’étude pour la civilisation européenne » (GRECE). Ce groupe fut créé par des jeunes issus de la mouvance fasciste qui ne reniaient rien mais décidaient de présenter différemment leurs idées. Ils élaborèrent un nouveau racisme, développant une argumentation à propos de l’existence de civilisations hétérogènes, ne devant pas se mélanger (haine du métissage), aux différences irréductibles. Sous cette présentation bénigne, ils soutenaient le régime d’apartheid en Afrique du sud, et séduisaient les ennemis de l’ « égalitarisme » à droite. L’influence de ce groupe sur le FN et l’UMP fut importante, au moins dans les années 80, époque de la radicalisation de la droite française et de l’essor du FN. Aujourd’hui, c’est la droite, en majorité, qui reprend, justifie, popularise ce discours de haine.

Ce discours d’exclusion, de ségrégation est nécessaire aux amis de Sarkozy et Le Pen. C’est parce que la crise économique s’accentue en Europe, que la récession s’installe, que le chômage explose, que tenter  de créer un lien social par amour du capitalisme est vain. C’est pour cela qu’ils tentent de créer une hégémonie politique au moyen de haines partagées, de xénophobie, d’une politique de la peur.

Et le vote dans tout ça? Certes, le vote est un engagement politique faible, en comparaison du militantisme. Mais il ne devrait pas y avoir d’hésitation quant à savoir contre qui voter, pour qui croit en l’aventure d’une démocratie à refonder.

Bibliographie

1. Edwy Plenel, « Guéant le barbare »,  Mediapart, 09-02-2011.

2. Enzo Traverso, « La violence nazie. Une généalogie européenne », Ed. La Fabrique, 2002.

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